Chère Madame la Cnaf. Par Arnaud Deroo

Consultant en éducation, thérapeute et psychanalyste, auteur

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bébé
Un article publié sur ce site vient de résumer les grands chantiers petite enfance de l’automne et les probables orientations de la prochaine COG (Convention Objectifs et Gestion) qui sera signée entre la Cnaf et l’Etat. Cela m'amène, vous me connaissez chers lecteurs, à réagir. J’ai relevé quelques incohérences, méconnaissances me semble-t-il qui éveillent chez moi de l'agacement. Et si la Cnaf s'y met maintenant... Alors où allons-nous ?
Il nous est parlé de projets spécifiques, innovants pour les crèches, on cite « Parler bambin, Jeux d'enfants ». Je souris.
Svp, ne transformez pas les crèches en écoles maternelles !
Svp, l'urgence n'est pas dans l'innovation, dans des projets spécifiques. Non l'urgence est tout simplement dans l'accueil proposé aux touts-petits : un accueil bien-traitant .Vous noyez le poisson comme on dit !

Je vous rappelle que j'ai encore vu dernièrement dans une crèche du sud de la France a N..., une auxiliaire de puériculture allongée sur un enfant pour l'empêcher de se lever : « tu vas dormir  et tu as beau pleurer, ça ne changera rien ». 2017 et on assiste encore a ces scènes. Ce n'est plus possible ! Donc l'innovation, le rajout de projet ne me paraît pas des plus urgent, les professionnels de la petite enfance vont mal, l’accueil conditions de leur accueil est loin d'être bien-traitant.
Les normes d'encadrement, la qualification qui a baissé et la Psu (que j'appelle la Poussée spontanée d'urticaire) sont des sujets plus importants et vous nous proposez des projets spécifiques ? De qui se moque-t-on ?

Le mot socialisation est lâché par Mme la Cnaf comme levier pour lutter contre les inégalités et la question de l'accompagnement parental des familles défavorisées vers les structures collectives est posée... Alors là, deux choses Mme la Cnaf .
C'est de sécurité psychique que le tout-petit a besoin, c'est dans la sécurité qu'il accède à l'autre, si les conditions sont adéquates, si l'équipe a les moyens de penser l'accueil car cela peut avoir tout a fait l'effet opposé...(à quand l'obligation d'analyse de pratique dans toutes les structure Mme la Cnaf, ça ce serait un projet innovant.)
Parler de socialisation peut amener les équipes dans des attitudes non adéquates, à vouloir faire du groupe et à en oublier la psychologie du tout petit. Revoyez vos connaissances.
  
Relisez le rapport 2004 je crois, de Mme Versini, à l'époque défenseure des droits des enfants qui posait le sujet et se demandait si la bande d’adolescents ne se fabriquait pas en école maternelle, je rajouterais même en crèche. Les innovations sont là, dans le vrai du travail,  « dans l'anodin du quotidien » comme dit Michel Lemay.

La Psu présentée comme une réussite,
je ne sais pas s'il faut rire ou pleurer, en effet la réussite n'est que financière car d'un point de vue pédagogique et socialisante pour reprendre votre mot, permettez-moi dans douter. Des groupes qui se créent, se déconstruisent parfois toutes les heures, je m'interroge pour le bien-être de l'enfant mais c'est vrai que les enfants s'expriment peu. Les premiers clients sont les parents ne l’oublions, les enfants sont secondaires... Soyons sérieux, nous sommes au service des enfants, futurs adultes qui peut être s'occuperont de vous en EPAH (maison de retraite). Montrez-leur ce qu'est un accueil de qualité car je ne voudrais pas tomber sur ces ex-enfants devenus des salariés d’un EPAH.

Vous dites l'importance de l'accompagnement parental, paradoxe avec vos 70% de taux remplissage. Non. Comment concilier les deux ? Surtout dans les quartiers justement fragilisés ?
Je me rappelle cette éducatrice en larmes, après s'être fait « gronder » par le dg de sa mairie car elle ne faisait pas les 70% alors qu'au départ le projet de cette crèche avait été créé justement dans un quartier défavorisé pour travailler la parentalité... Et la Caf n'est pas là , l’EJE se retrouve seule à défendre le dossier.
Les travailleurs sociaux vous diront la complexité du travail : comment motiver une maman qui reste à la maison de mettre son enfant en crèche ? Les 70%  n'ont pas de sens. Pourquoi uniformiser ce système, ça dépend des quartiers, de villes… et je ne vous dis pas la difficulté en septembre lors des phases d'adaptations des enfants, faire 70% relève parfois d'un numéro de cirque.
Et comment parler d'intégration, de mixité sociale alors que vous avez accepté la création de micro-crèches ? Où sont l'intégration, la mixité, le travail sur les inégalités ? Je ne saisis plus...
Imaginez : Famille X sans revenus, Mr et Mme souhaitent mettre leur enfant en crèche 5 jours pour faire des démarches de recherche d'emploi (et c'est le projet Psu d'ailleurs) et pour socialiser l'enfant. Une micro crèche vient de s'installer dans le quartier. Ils paieront pour 5 jours par semaine la somme de 600 € (aide Caf déduite, c'est à dire qu'il faut sortir la somme de 1500 €). Impossible pour cette famille. Où est l'intégration, où est la vie de quartier ? Si la crèche avait été associative ou municipale la famille aurait payé 84 € par mois.
Soyons cohérent Mme la Cnaf. Je ne remets pas en question l'accueil proposé par ces structures mais je questionne le projet de société et croyez-moi, moi qui suis en lien direct avec les politiques ils ont bien compris leur intérêt : pas d'argent à sortir et un accueil  collectif. C’est le bonheur,  le choix est vite fait.

Toutes ces incohérences me pèsent. Je laisse tout cela à votre réflexion. J'en profite : je suis en pleine rédaction de la convention Relais Assistantes Maternelle pour les 4 ans à venir.Mon Dieu Mon Dieu ! Que de cases a remplir ! Est-ce vraiment utile ? J 'en doute.
Je vous propose un projet innovant : synthétiser les documents administratifs.
Article rédigé par : Arnaud Deroo
Publié le 16 septembre 2017
Mis à jour le 18 septembre 2017
C'est tout à fait juste comme texte ! Avec les micro-crèches, le problème c'est qu'il est permis à des sociétés à but lucratif de gérer ces structures. Il faut également se poser la question de l'accompagnement des collectivités territoriales dans la création de ces micro-crèches car financièrement elles ne peuvent pas suivre.