Je participe, tu participes, il participe …Par Anne-cécile George
Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice
Claire Gougeon, chargée de mission à l’ACEPP (association des collectifs enfants/parents/professionnels) a pris la parole pour évoquer le passif des crèches à l’après-guerre. Tu sais le fameux modèle hygiéniste dont nous sommes encore imprégnés aujourd’hui avec à la tête des EAJE, des infirmières puéricultrice. Je ne rentrerais pas dans la légitimité de cette profession dans les structures (moi-même étant infirmière puéricultrice), je dirais juste que sans les éducateurs de jeunes enfants, ça ne tournerait pas bien rond là-dedans. Bref des crèches qui excluaient clairement les familles (rentrer dans l’enceinte de l’établissement leur était interdit mais pas que ! les auxiliaires déshabillaient entièrement les enfants avant leur entrée dans les sections puis les affublaient de tenues propres à l’établissement).
Dans la structure où je travaillais autrefois, on leur mettait des salopettes et nous avions encore quelques vestiges dans les armoires de la crèche. Bleues pour les garçons, et rouges pour les filles. Tu remarqueras que c’était très original. La participation des parents a donc fait son apparition avec les crèches parentales.
Reconnues en 1981 par une note relative aux formules innovantes des modes de garde, en 2000 un décret reconnaît l’intérêt de la participation active des parents à la fonction éducative dans le cadre de l’accueil. Il était temps ? Jusqu’ici je suivais gentiment l’exposé et mon attention fut captée par le cœur du sujet : la participation des parents.
Ils sont cogestionnaires de la structure d’accueil et bénéficient du service. C’est donc une logique de don/contre-don qui s’instaure (en référence à Marcel Mauss) sous la forme de temps consacré à l’établissement (de quelques heures par mois à plus de 10 heures par semaine). C’est bien évidemment selon les possibilités des familles, mais aussi de leur envie. Car la participation nait d’abord d’une volonté de participer. Pour te donner un exemple, les tâches attribuées aux parents peuvent être la gestion des commandes de couche ou encore l’entretien des locaux. Et cette participation se fait au bénéfice de… l’enfant (tadam) qui est au cœur du projet de la structure.
Bien-sûr tout n’est pas idyllique, faire partie de la structure c’est aussi accepter de travailler sous le regard du professionnel (qui a parfois un regard critique… si… si) et inversement pour les professionnels, accepter de regarder sous le regard des familles peut s’avérer déstabilisant. D’autres difficultés peuvent venir fragiliser le concept comme le turnover des bénévoles et la faible disponibilité des familles. Qui aujourd’hui, donne une heure de son temps à une activité participative, bénévole, militante ? Qui ? Pris dans le tourment d’une vie tirée à quatre épingles et d’une injonction de parentalité parfaite où on se doit d’être épanoui en prenant du temps pour soi (rien qu’à voir sur internet le nombre d’original’mummy qui se targuent de pouvoir allier vie de famille et sortie Mojito entre filles le vendredi soir) et de mener de front sa carrière professionnelle et l’éveil de ses enfants. Alors où trouve-t-on le temps de faire une action gratuite ? Aujourd’hui la plupart souhaite un retour sur investissement avec en tête « qu’est-ce que j’y gagne ? ».
Alors au-delà de cette logique, les familles des crèches parentales y trouvent de nombreux bénéfices. À travers cette implication dans la vie de la structure, on aperçoit en filigrane la construction d’une identité pour le parent. Une identité qui entretient chez les familles un sentiment d’appartenance à cette « communauté » et qui pourrait donner l’envie de s’engager dans d’autres associations après les trois années de crèche (ça c’est mon côté optimiste).
Mis à part le sentiment d’utilité que cela crée chez le parent, cette participation vient renforcer la confiance dans la structure d’accueil. Ce qui ferait défaut depuis quelques années au niveau de l’école avec une crise de confiance majeure. Les parents souhaitent désormais avoir un regard sur les méthodes pédagogiques employées notamment depuis la montée en puissance des pédagogies positives, bienveillantes, Montessori, Steiner et compagnie. Hormis quelques exceptions à la marge, les parents s’arrêtent au portail de l’école, leurs volontés participatives étant encore perçues comme de l’ingérence. Des frustrations qui font le ciment de tous les conflits parents vs école.
C’est justement ces volontés, ce militantisme qui vont venir faire fonctionner les crèches parentales. Et ce modèle de participation nous pousse à penser autrement l’inclusion des familles dans le système des crèches collectives (c’est à ce moment, précisément, que j’ai complètement délaissé le Sudoku, ce fut l’insight !).
Même si cette volonté se traduit souvent par le biais d’accompagnement aux sorties, à la participation aux réunions, goûters et autre journée festive (à l’image de l’école classique finalement) ne pourrions-nous pas imaginer proposer une co-écriture du projet pédagogique et débattre réellement autour des pratiques mises en œuvre ?
Car soyons honnêtes, aujourd’hui, même si des échanges sont organisés autour des méthodes pédagogiques instaurées à la crèche, le dernier mot revient invariablement à l’établissement. Un débat (peut-on appeler cela un débat d’ailleurs ?) biaisé où l’on impose notre façon de penser sur ce qui est bon pour leur enfant. Un débat qui donne l’illusion aux familles de leur pouvoir sur le système (Arnstein, 1969).
Mais un débat organisé sur un mode descendant où l’information est donnée sous forme de mode d’emploi à appliquer chez eux si possible pour coller aux pratiques de la crèche. Comme « à la crèche, on ne met pas un enfant assis tant qu’il ne sait pas le faire lui-même ». Il y a le « bon » parent qui connait le palmarès des bonnes pratiques car il s’intéresse beaucoup aux pédagogies positives, il affirme qu’il n’a pas de trotteur chez lui ni de télé et qu’il ne met évidemment pas son enfant âgé de 5 mois assis. Et sa parole a d’emblée une valeur reconnue par le collectif de professionnels (il sera d’ailleurs élu en salle de pause « chouchou de l’année », chut tu le gardes pour toi). Et puis il y a le parent « débutant » qui n’a pas su briller à la réunion car il est à contre-courant de tous les courants pédagogiques en vogue « si on le met pas assis, il pleure, alors on le met assis, on va pas le laisser pleurer », sa voix ne portera pas assez fort pour requérir tous les suffrages, aura-t-il le droit de participer à la co-écriture ? Ou ce projet sera réservé à l’élite du parent ? Telle est la question de la participation biaisée et de ses limites.
Enfin, la participation active et véritable des familles ne constitue pas le remède miracle qui mettrait fin à toute forme de conflictualité parents/professionnels. Car le bien-être de son enfant, la chair de sa chair, anime le parent et prime tel un principe supérieur sur ce que pense le voisin, la copine ou l’institution. Uniformiser les modèles éducatifs est donc un vœu pieu, mais se mettre d’accord sur une posture à adopter, trouver ensemble (professionnels et parents) un consensus est déjà une base qui permettra de créer une alliance bénéfique à l’accueil de l’enfant au sein du collectif. Alors, à nous de jouer !
Ps : Du coup j’ai pas fini mon Sudoku
Ps’ : le débat de cette chronique ne portera évidemment pas sur le fait d’asseoir ou non un enfant qui ne sait pas s’asseoir tout seul, nous sommes d’accord ?
Pour aller plus loin
Arnstein, Sherry R. (1969). A Ladder Of Citizen Participation. Journal of the American Planning Association. 35: 4, 216 — 224
Auteure de la célèbre affiche :
« Je participe
Tu participes
Il participe
Nous participons
Vous participez
Ils profitent ».
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