Conflits d’équipe, comment les désamorcer ?

Au cœur de nos métiers de relation, les tensions viennent souvent paralyser la vie des équipes, au détriment de la qualité de l’accueil, mobilisant toute notre attention. Pour préserver l’équilibre de votre structure, devenez expertes dans l’art de dissiper les malentendus et de gérer les litiges.
Dans la petite enfance comme dans n’importe quel métier, travailler en équipe peut facilement devenir source de frictions. Confrontées à des pratiques divergentes, à des changements, il n’est pas rare que la fatigue et l’usure du quotidien exacerbent les sensibilités et prennent le pas sur les bons rapports que l’on entretenait jusqu’alors entre collègues. Dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), les professionnels proposent un service à la personne. On leur confie une mission profondément humaine qui exige d’eux un investissement très personnel. Un travail difficile et fatigant qui engage leur intimité, sollicite en permanence leurs émotions dans l’attention et l’affection qu’ils portent aux enfants, dans la relation qu’ils entretiennent avec les parents. Les affects sont mis à mal, chacun porte le poids de son vécu, vient avec son lot de soucis personnels et s’applique à se contenir en permanence.
Car pour rester professionnel il faut savoir prendre du recul, être patient, s’adapter à toute situation, faire bonne figure… De fait, on porte moins attention à son propre ressenti et pour peu que l’on manque d’espace pour l’exprimer, les frustrations s’accumulent et finissent un jour ou l’autre par éclater. Simples frictions ou litiges de taille, dans ce contexte, les accrochages sont inévitables. Un sujet souvent tabou, du moins sensible : difficile d’assumer que le monde des bébés n’est pas aussi rose qu’il en a l’air. Lorsqu’on sort du déni, on réalise enfin que ces conflits d’équipe sont toujours source de vives souffrances qui mobilisent pleinement l’attention des accueillants au détriment de l’enfant… Et dans un environnement où la pénibilité du travail et le stress sonore ne sont pas toujours reconnus, une souffrance psychologique peut vite conduire au « burn out ».

De l’insatisfaction au clash
A l’origine de ces tensions, on avance des causes variées mais récurrentes, souvent liées à des différences de perception des réalités ou à un contexte stressant. Les questions d’organisation, de planning et de congés titillent facilement, les méthodes de travail s’affrontent autour de la pédagogie, les mouvements de personnel chamboulent un équilibre fragile, les rivalités et enjeux de pouvoir font rage entre les différentes professions, les défaillances de management créent des malentendus… sans oublier les simples conflits de personnes ! « A la crèche, les accrochages les plus fréquents naissent de l’organisation et des plannings. Personne n’est prêt à faire de concessions. Ensuite c’est la capacité à travailler ensemble et à se remettre en question qui attise les tensions. La cohésion c’est important mais il faut que chacune y travaille ! », explique Aurélie, éducatrice de Jeunes Enfants (EJE) en crèche.
Enfin, les problèmes personnels peuvent avoir une incidence forte sur la vie du groupe. Une seule personne en mal-être peut créer des tensions dans toute l’équipe. Dans le milieu de la petite enfance, le travail et les enfants ravivent facilement les blessures enfouies de notre vie privée. Pourtant, selon Denis Mellier, psychologue, on ne fait que reporter les problèmes. « Les conflits ont toujours leur source dans l’insatisfaction des professionnels vis à vis des enfants. (…) Ce n’est qu’en se recentrant sur le bébé et le souci de la qualité de l’accueil que l’on touche le problème de base. »

Anticiper les cas qui risquent de déraper
Pour éviter l’escalade dans les non-dits et les malentendus, il faut pouvoir désamorcer la situation à risque avant même que n’éclate le conflit. Plus facile à dire qu’à faire pour des professionnels de la petite enfance, toujours dans le faire et dans l’agir ! En créant des espaces et des temps de communication réguliers, on se donne des occasions de parler même à titre préventif et de dédramatiser les situations. Pourquoi ne pas caler une réunion d’équipe hebdomadaire de 20 minutes pour « prendre la température » ? Pour aller plus loin, la directrice peut instaurer des groupes de parole, supervisés par un psychologue, afin que chacune exprime son ressenti sur les situations vécues auprès des enfants. Voilà un parfait lieu de décompression permettant de mettre des mots sur les tensions ressenties.
« Une fois que les choses sont dites, à commencer par les faits, explique Aurélie, on essaie de voir ce qu’il est possible de mettre en place pour améliorer la situation. » Les façons de faire, les responsabilités de chacun sont souvent sources de frictions et de jalousies. Sur ce terrain, il n’y a qu’un projet d’établissement cohérent et élaboré par l’équipe, qui garantissent un bon équilibre. « Si les règles sont décidées en commun, chacun se sent sécurisé, le poids du travail semble moins lourd et mieux réparti que si tout est imposé d’en haut ! » souligne encore  Aurélie.

Dans ces équipes pluridisciplinaires où se côtoient tous les visages de la profession, les incompréhensions naissent souvent des méconnaissances du métier de l’autre. En bon manager, c’est à la directrice de s’assurer que chaque fiche de poste est bien définie et connue de tous. Elle participe au sentiment de reconnaissance de son équipe en pratiquant les évaluations annuelles, en donnant des objectifs clairs, en valorisant le travail de chacun. Elle leur donne envie de progresser en les invitant à se former (gestion du stress, travail en équipe, approfondissement des compétences). Enfin, la meilleure façon de dépasser les petits désaccords du quotidien, c’est encore de se recentrer autour de l’accueil du tout-petit, à commencer par soigner l’atmosphère des lieux pour le bien-être de tous.

De l’écoute active pour gérer les litiges
« Lorsque les tensions sont trop importantes dans l’équipe, raconte Adeline, puéricultrice et directrice de crèche, le travail s’en ressent et les enfants en subissent les conséquences. Ils sont plus énervés, voire agressifs. C’est pour cela que nous ne laissons jamais s’envenimer les situations difficiles ! » Pourtant il arrive que cela dérape et que l’entente cordiale vole en éclats. Pour préserver les enfants et le reste de l’équipe, il faut réagir vite et bien, notamment en s’isolant et en instaurant une distance physique qui permettra la distance émotionnelle apaisante. C’est à un tiers d’intervenir et de faire office de médiateur. « Il faut un bon manager qui ne favorise ni l’un ni l’autre, sinon cela devient terrible, même pour des bricoles ! » alerte Aurélie.
Pour autant les qualités de management ne sont pas toujours innées et manquent cruellement à la formation de base des directrices. Elles ont donc la responsabilité de s’y former pour gérer au mieux les rapports, en pratiquant une écoute active et une communication non violente. Parler permet de s’apaiser, de clarifier ses pensées et de trouver soi-même la solution au problème.

Gardons à l’esprit qu’à laisser parler son interlocuteur, il n’en sera que plus disposé à coopérer. Au médiateur de tendre une oreille attentive et empathique pour recueillir les souffrances de chacun puis de les reformuler sans juger ni montrer de préférence. Le sentiment d’être compris est immédiat, l’effet apaisant. Lorsqu’on se retrouve soi-même impliqué dans un différend, gare aux mots que l’on emploie, au ton de sa voix, à son attitude. Dans les conflits, on a tendance à agresser par la critique, qui commence toujours par « tu ». Le « tu » qui tue, comme le dit le psychosociologue Jacques Salomé, bloque toute communication (exemple : « tu ne m’écoutes pas »). Mieux vaut dire « je » (ex : « je ne me sens pas écoutée »), décrire la situation en commençant par exprimer son ressenti, son besoin, et créer une proposition de dialogue qui amènera parfois aux excuses et à la reconnaissance réciproque.
                                                 
Solliciter un tiers aide à relativiser
Sur un malentendu qui s’enlise, il est essentiel de demander une aide extérieure car le temps ne règle jamais les conflits. Le psychologue sera le mieux placé pour conseiller et intervenir. A défaut, n’hésitez pas à faire appel à la coordinatrice petite enfance ou à un bon contact auprès de la PMI. Lorsqu’on exerce une fonction de direction, il est précieux d’avoir un maillage solide de contacts pour s’appuyer sur ses pairs. Il existe des réseaux professionnels, le plus souvent informels mais précieux pour les directrices les plus isolées, à la tête de crèches associatives ou privées… Enfin, un simple interlocuteur bienveillant, un proche doté d’une oreille attentive, peut suffire à apporter un éclairage neutre sur une situation alambiquée. Et puis au-delà des rancœurs, « si le malentendu ne paralyse pas la situation et que l’on réussit à recréer du lien », espère Denis Mellier, un conflit ouvert peut toujours devenir une belle opportunité de croissance personnelle, un déclic pour passer au delà des blocages et avancer. 

Quelle place pour le psychologue ?

Le psy a un rôle essentiel auprès des pros de la petite enfance. Il leur permet de prendre du recul sur leurs pratiques, de modérer leurs affects et de se recentrer sur l’accueil de l’enfant. Pourtant, sa présence dépend davantage des moyens accordés à la structure que de la volonté de la directrice. Après avoir observé la vie de l’équipe, il accompagne le groupe dans une réflexion collective sur les situations vécues auprès des enfants. Selon Denis Mellier*, « parler des conflits de personnes pendant une heure ne fait qu’exacerber les discordes. En partant du vécu auprès des tout-petits, on touche inévitablement aux tensions qui y sont liées. »

* Psychologue et formateur deouis plus de 30 ans, auteur de "L’inconscient à la crèche" ed. Eres. 29€. Dans cet ouvrage, l'auteur consacre aux conflits et projets d’équipe un chapitre riche en expériences concrètes qui vous apportera un éclairage pertinent.

Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 17 février 2016
Mis à jour le 16 décembre 2017
Les professionnelles AP sont souvent de jeunes mamans qui n'ont pas la disponibilité nécessaire pour s'occuper des enfants des autres. C'est ce que j'ai pu constater amèrement.