Politiques petite enfance : changeons de paradigme ! Par Laurence Rameau
La crèche plébiscitée par les parents
Pour les parents, il s’agit de choisir entre la crèche et la nounou ! Et depuis la fin du siècle dernier, c’est la crèche qu’ils plébiscitent et réclament prioritairement. Cette dernière semble mieux correspondre à leurs attentes de socialisation, d’apprentissages fondamentaux et de sécurité pour leurs enfants. Ils y voient une meilleure offre éducative pour une préparation à l’école maternelle qui exige des enfants à la fois de la discipline et de l’autonomie. A cela s’ajoute pour certains la réelle ou supposée concurrence affective et éducative entre les parents, le plus souvent entre la mère et l’assistante maternelle, qui fait craindre des divergences et des conflits néfastes pour l’enfant. Et complètement à l’opposé de cette idée, on retrouve celle que l’assistante maternelle puisse être soupçonnée de n’exercer ce métier que pour l’argent et non uniquement pour l’amour des enfants ! Paradoxe ou contradiction ?
Mais cette moindre attirance pour les assistantes maternelles s’explique aussi par l’histoire des crèches et des assistantes maternelles et par l’imaginaire collectif que cette histoire a imprimé en chacun de nous et dans la société, disqualifiant petit à petit les assistantes maternelles ou plutôt les nourrices au profit des crèches, en touchant au départ les classes populaires.
Ces dernières années, la diffusion des savoirs sur le développement de l’enfant et particulièrement de ceux liés à la psychologie, a changé l’image de la crèche en même temps que le recrutement de son public maintenant principalement issu des classes moyennes et supérieures. Et alors que la crèche a longtemps était associée à l’encadrement des classes populaires sur des bases hygiénistes de domination et d’imposition sociale éducative, elle a la préférence des parents avec pour projet une éducation presque élitiste.
Les assistantes maternelles dévalorisées
A l’inverse l’assistante maternelle bénéficie d’une image moins progressiste au niveau des attentes éducatives. Cette image reste socialement superposée à celle de la mère au foyer. A cela s’ajoute une position peu claire et malaisée en tant que salariée de parents, qui conditionne des rapports de classe. Soit les assistantes maternelles sont jugées incompétentes faute de formation supérieure, soit elles sont vues comme incontrôlables du fait de leur affranchissement à un cadre d’emploi salarié classique. Ce sont trop de contraintes pour des parents qui souhaitent non seulement le mieux pour leur enfant, mais aussi visent le plus simple et préfèrent payer un service qu’une employée. Le refus de la place en crèche s’exprime alors comme une double peine pour eux, puisqu’en plus de ne pas avoir eu de place à la crèche, ils découvrent qu’ils doivent subir les contraintes administratives liées à la responsabilité des employeurs, chose qu’ils sont peu nombreux à avoir envisagé dans leur parcours de recherche d’un mode d’accueil.
La conséquence est qu’aujourd’hui l’institution crèche relègue l’assistante maternelle à un niveau de second choix ou de choix par défaut alors que paradoxalement la quantité d’offre de place est majoritairement présentée par les assistantes maternelles et que les places de crèche restent rares. La création de places de crèches semble être une éternelle promesse faite, mais jamais réellement complètement tenue, par les politiques de tous bords, dans un contexte de demande toujours croissante.
La séparation entre accueil collectif et individuel n’existe plus
Pour autant, aujourd’hui les « nounous » n’allaitent plus les bébés et les frontières sont rendues floues entre ce qui relève de l’accueil individuel et ce qui dépend de l’accueil collectif. La diversification des modes d’accueil, que ce soit par les multi-accueils, les crèches familiales, les maisons d’assistantes maternelles et les micro-crèches, a contribué à faire évoluer cette historique séparation entre crèches et assistantes maternelles, entre accueil collectif et individuel. L’accueil des jeunes enfants est devenu administrativement complexe et n’est pas compris par les parents. Et surtout il ne correspond plus à la réalité du terrain. La séparation entre accueil collectif et individuel n’existe plus.
En effet un parent peut être employeur d’une assistante maternelle qui travaille dans une maison d’assistantes maternelles (Mam) et de ce fait son enfant est accueilli dans un lieu collectif bien qu’il entre dans la catégorie des accueils individuels ! A l’inverse un enfant peut fréquenter une crèche familiale qui entre dans la catégorie des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) et de ce fait les parents ne sont pas employeurs mais usagers d’un service, alors qu’en réalité leur enfant passe la majorité de son temps d’accueil chez une assistante maternelle, donc dans un accueil individuel ! Cet accueil reste-t-il individuel si l’assistante maternelle emmène fréquemment et régulièrement l’enfant participer avec d’autres enfants à des activités proposées au Relai d’assistantes maternelles (Ram) ou dans une Association d’assistantes maternelles ?
Parents-employeurs vs parents-usagers
Il serait souhaitable d’abandonner la division des modes d’accueil en accueil collectif ou individuel. Le premier sensé mieux socialiser l’enfant que le second, ce qui est faux car l’environnement est toujours socialisant pour l’enfant, quel qu’il soit. Ce qui compte n’est pas le nombre d’enfants mais ce qui est proposé à chacun d’eux. Pourquoi ne pas suggérer au Ministère et la Cnaf de modifier le paradigme à la négociation de la prochaine COG ? Diviser les modes d’accueil, non plus en accueil individuel ou collectif mais selon que les parents sont les employeurs ou ne le sont pas ? Et ainsi revoir en conséquence les tenants et les aboutissants de ces positions : payer un service ou employer une ou plusieurs personnes n’est pas la même chose ! Cela permettrait peut-être de clarifier les choses et inciterait à inventer de nouvelles politiques d’accueil des jeunes enfants. Car actuellement, seule la division entre parent-employeur et parent-usager permet de comprendre comment s’organise l’accueil des jeunes enfants avec les aides, contraintes et obligations de chacun, et ce quels que soient les modes d’accueil eux-mêmes.
Pour les parents il ne s’agit pas uniquement de faire garder leur enfant, mais surtout d’être assuré que celui-ci reçoit une éducation de qualité, avec d’autres enfants, dans le cadre d’un projet visant la réalisation sociale par l’éducatif et le bien-être dans un environnement chaleureux et donc auprès de professionnels qualifiés. Pour la société il s’agit de réalités économiques comme le soutien de l’emploi dans un secteur dynamique ou d’objectifs sociaux comme la réduction des inégalités sociales, scolaires et de genre. Jusqu’ici la raison économique a largement prévalu dans le développement de l’offre d’accueil y compris avec l’objectif de conciliation entre vie privée et vie professionnelle.
De nombreuses femmes (et quelques hommes) ont été incitées à exercer le métier d’assistante maternelle, facilement accessible par le régime de l’agrément. Conçu en 1977 pour « blanchir » le travail non déclaré des gardiennes d’enfants, l’agrément a été le premier pas d’une politique de professionnalisation et d’amélioration de la qualité d’accueil des jeunes enfants chez les assistantes maternelles, comme de la protection et des droits des assistantes maternelles. Plus souple et plus rapide, moins contraignant en terme de normes, l’accueil des jeunes enfants par les assistantes maternelles a cru bien plus rapidement que celui proposé par les crèches. Et alors que les parents veulent la crèche et peinent à trouver une place pour leur enfant, alors que les crédits d’investissement pour faire des crèches ne sont pas utilisés en totalité, des assistantes maternelles se trouvent au chômage et peinent à trouver un enfant à accueillir !
N’est-il pas temps de changer de lunettes ?
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