Entrer dans le moule ! Par Arnaud Deroo
Consultant en éducation, thérapeute et psychanalyste, auteur
Je me rappelle une jeune diplômé EJE en larmes lors d'un stage en évoquant sa difficulté à faire changer les choses dans sa crèche et qui s'entend dire régulièrement : « tu es jeune, tu verras... » et se mettre l'équipe même à dos.
Je dis souvent aux éducateurs de jeunes enfants en formation « vous allez être et vous devez être des empêcheurs de tourner en rond, des emmerdeurs ».
Pour autant le vivre n'est pas toujours simple surtout quand l'équipe est dans l'inertie depuis quelque temps. Une structure dans laquelle je suis intervenu n'avait pas eu de réunion depuis 20 ans... Comment peux-t-on imaginer cela ?
J’entends encore cette auxiliaire de puériculture me dire en stage : « mais faut réfléchir tous le temps alors, c'est fatiguant ». Mais je me souviens aussi de cette animatrice qui a fondu en larmes en entendant mes propos en se disant qu'elle a tout faux… La prise de conscience n'est pas toujours facile.
Février d'une certaine année, le 15 exactement, le jeune EJE que je suis prend ses fonctions dans un foyer d'enfants. Tous les décors de Noël sont encore aux murs et au plafond. Je dois même baisser la tête dans la salle de bain sinon je me prends les mobiles dans la figure ! Pire qu’un centre commercial, il y en a partout, j'en ai une indigestion... J’écris sur le cahier de liaison-équipe (je vous rappelle que j'étais jeune) : « envisagez-vous de laisser les décors de Noël jusqu’en décembre prochain? » La réponse : « et ta sœur ! » Cela commençait bien !
Quelques jours plus tard, je me retrouve avec l'équipe de l'après-midi avec qui je n'ai pas encore travaillé. Après le repas du soir j'entends l'auxiliaire lancer aux enfants : « allez aux toilettex , un caca, un bonbon… ! ». « Si j'en fais deux, j'en aurai deux ? ». L'auxiliaire est un peu déstabilisée et me demande si elle a fait une bêtise... Nous en reparlerons en réunion.
Ou cette autre fois, quand je découvre Alicia 4 ans dans la baignoire avec deux enfants, deux garçons et là ma réaction a été plus vive. Alicia venait d'arriver, après une suspicion de viol par le père. L'idée de la mettre dans la baignoire avec deux garçons ne me semblait pas très judicieux. La réponse obtenue « ca va plus vite aussi… ! »
Ou cette autre fois encore : j'avais rapporté du matériel moteur (des gros rouleaux de carton qui servent à ranger la moquette dans les magasins). J'arrive le matin et dit à la dame d'entretien : « je suis désolé, ça fait un peu de b….. ». « Mais non, Arnaud, tout va bien ils ont besoin de jouer ». La stagiaire EJE qui était là la veille n'en revenait pas car me dira-t-elle « hier j'ai tout entendu sur toi et ce b...... ». C’est ça la joie du travail en équipe et la joie de ne pas rentrer dans le moule.
L’EJE a grandi, il exerce encore dans le travail social et il s'est encore entendu dire : « vous ne rentrez pas le cadre, des personnes veulent votre tête, vous avez risqué trois avertissements ».
Ne pas rentrer dans le moule n'est pas toujours simple. Défendre des projets, des idées, s'affirmer ne plaît pas toujours surtout à ceux qui se disent les représentants du peuple : soyez un bon exécutant... ne réfléchissez pas trop.
Mais comme je ne veux pas ressembler à une tarte (à force de rentrer dans le moule le danger est là) je continue à défendre des idées car je sais aussi que s'adapter à une société, à une institution qui va mal n'est pas un signe de bonne santé.
Soyez-vous- même, défendez vos idées, soyez dans la joie, l'enthousiasme, ne vous abimez pas. Ne rentrez pas dans le moule.
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