Il veut toujours les bras
Le bébé humain naît inachevé. Quiconque compare les aptitudes du bébé humain à celles des autres mammifères à la naissance est frappé par sa grande immaturité et sa dépendance totale à l’adulte. Tandis que le girafon se redresse sur ses pattes en une trentaine de minutes après sa naissance, une dizaine de mois sera nécessaire au petit humain pour faire du « quatre pattes » (et encore, on ne parle pas de la marche, véritable cerise sur le gâteau de l’évolution !). Si le cerveau du bébé humain était aussi mature que celui d’autres mammifères, il ne pourrait tout simplement pas naître… Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, le diamètre de sa boîte crânienne, trop volumineux, ne serait pas en mesure de traverser le bassin de sa mère !
Il est programmé pour s’accrocher à l’adulte. Pour permettre à ces petits humains de survivre malgré leur incroyable immaturité, la nature a pensé à tout. Elle les a programmés pour qu’ils soient toujours proches des adultes en mesure d’assurer leur survie. L’enfant arrive au monde avec un réflexe d’agrippement (qualifié de « grasping » par nos amis anglophones) qui lui fait serrer très fort ce qui est mis dans sa main. On peut penser que ce réflexe permettait à l’origine aux bébés de s’agripper à leur maman pour fuir le danger. Aujourd’hui, celui-ci contribuerait à la création d’un lien d’attachement avec l’adulte dont il est si dépendant. Ces bébés sont aussi équipés de puissantes alarmes (les pleurs et les cris) pour assurer la proximité de l’adulte en cas de besoin. Que la nature est bien faite !
Il ne veut pas vos bras, il a besoin de vos bras. Pour ces raisons, la proximité physique avec l’adulte fait partie des besoins fondamentaux du petit humain. Il ne s’agit donc pas d’une envie, d’un caprice, ou d’une lubie, mais d’un réel besoin vital comme celui de manger et de boire. Sa survie en dépend. Malheureusement, la nature n’a pas imaginé que, des milliers d’années plus tard, des crèches collectives seraient créées et que les bébés humains n’auraient plus la possibilité d’être dans les bras de l’adulte toute la journée !
Non, un enfant ne risque pas de « s’habituer aux bras ». Contrairement aux idées reçues, un enfant ne risque pas de « s’habituer aux bras », c’est à dire de réclamer davantage les bras de l’adulte si celui-ci le prend plus souvent dans les bras. Non, les bras ne sont pas une drogue addictive comme la cigarette, la cocaïne ou l’alcool ! Cette idée infondée, et pourtant très répandue dans les maternités, les PMI et les crèches, a été invalidée à plusieurs reprises par les recherches en psychologie de l’attachement. Nous avons constaté que plus on répondait aux besoins des bébés lorsqu’ils étaient petits, plus ces bébés étaient autonomes et sereins vers douze mois. Un enfant s’attache à l’adulte pour mieux se détacher. D’ailleurs, le petit d’homme n’aurait aucun intérêt à rester accroché aux bras de l’adulte ad vitam aeternam. Ce qu’il souhaite, lui, c’est explorer et découvrir le monde ! Mais pour ce faire, la construction d’une sécurité intérieure est nécessaire.
Un environnement stressant redouble chez l’enfant son besoin d’être dans les bras de l’adulte. Tout environnement nouveau ou insécurisant (une crèche, le domicile d’un assistant maternel, la première fois que l’enfant va chez sa mamie) tend à plonger le tout-petit dans un état de stress et à stimuler son besoin de proximité physique avec l’adulte. C’est pourquoi certains enfants éprouveront davantage le besoin d’être vos bras lors des temps plus stressants de la journée, par exemple, lorsque des parents arrivent, lors des moments de transition, de repas, etc.
Vous êtes son porte-avion ! L’enfant a besoin de vous sentir disponible pour explorer sereinement son environnement. L’image du porte-avion l’illustre bien. Le bébé est l’avion, et vous, le porte-avion. Vous en conviendrez, le porte-avion doit toujours être disponible pour que l’avion puisse atterrir en cas de besoin ! Si le porte-avion n’est plus disponible, l’avion hésitera à s’éloigner… Ainsi, un enfant peut prendre le risque d’explorer une pièce et de jouer avec d’autres enfants, s’il sent l’adulte disponible pour lui porter secours en cas de besoin. C’est pourquoi lorsque vous vous levez pour accueillir un parent ou lorsqu’un autre enfant vient sur vos genoux, le bébé-avion revient illico presto à sa base de sécurité ! Il ne s’agit pas de jalousie à proprement parler comme on l’entend souvent, mais de la simple manifestation de son instinct de survie…
Vous êtes probablement sa figure d’attachement secondaire. Si la maman est le plus souvent la figure d’attachement primaire de l’enfant, il est probable que vous soyez sa figure d’attachement secondaire (au même titre que sa tata, son papi, etc.). Cela signifie que vous avez créé un lien privilégié avec cet enfant et qu’il sait instinctivement que vous êtes en mesure de répondre à ses besoins au sein du lieu d’accueil. Vos bras parviendront davantage à l’apaiser que ceux de votre collègue, et moins que ceux de sa maman. C’est aussi la raison pour laquelle il risque de se mettre à pleurer lorsque vous entrez dans la pièce alors qu’il jouait tranquillement avant votre arrivée ! En détectant la présence de sa figure d’attachement, l’enfant manifeste spontanément ses besoins, comme on le ferait, vous et moi !
Le profil de bébé-koala qui suit son référent comme son ombre est donc tout à fait sain et normal. En revanche, les enfants qui ne manifestent à aucun moment de la journée le besoin d’être pris dans les bras, ou ceux qui passent de bras en bras de manière tout à fait indifférenciée, me paraissent bien plus préoccupants.
Comment réagir ?
Le prendre dans les bras, dès que vous le pouvez. Ce premier conseil est le plus efficace pour permettre à l’enfant de gagner en autonomie, mais aussi celui qui est le plus redouté des professionnels qui craignent d’empirer la situation ! Plus vous répondrez à son besoin vital de proximité physique, plus l’enfant sera rassasié et moins il réclamera votre contact. C’est d’une logique imparable. Une phase de « fusion » entre l’enfant et le professionnel est souvent nécessaire. Celle-ci peut durer une semaine comme plusieurs mois, tout dépend de l’enfant, de vous, de votre disponibilité, de sa relation avec ses parents, de sa vie à la crèche, etc. Pour permettre cette proximité avec l’enfant, certaines équipes ont opté pour le portage, en accord avec les parents. Le Mei-Tai est un bon compromis car il est plus simple à mettre en place que la traditionnelle écharpe et moins cher qu’un porte-bébé préformé.
Le porter physiquement mais aussi psychiquement. Bien entendu, le portage physique ne suffit pas. Car, contrairement à un sac de courses, le petit humain est un être plein à craquer… d’émotions ! Ainsi, si vous prenez l’enfant dans vos bras à contre cœur ou stressé, vous risquez de provoquer l’effet inverse et d’alimenter le propre stress de l’enfant. Un portage psychique, empreint d’affection, de douceur et d’humanité, est aussi indispensable que le portage physique.
Rester disponible au sol, tel un porte-avion ! Quand vous êtes confortablement installé au sol, invitez l’enfant à s’asseoir sur vos genoux. Lorsqu’il se sentira prêt, il s’éloignera de lui-même pour aller jouer. Si cela vous est possible, durant sa phase d’exploration, restez au sol au même endroit et maintenez un lien visuel avec l’enfant. Regardez-le jouer et montrez-lui que vous êtes disponible s’il en éprouve le besoin. Plus vous serez un porte-avion de confiance, plus ce petit avion trouvera le courage d’explorer son environnement. Au début, il risque de rester accroché fermement à vous, comme un timbre à une enveloppe. Quelques jours/semaines plus tard, il quittera peut-être vos genoux pour se poser sur le sol, mais tout en maintenant un contact physique avec vous (il jouera contre votre cuisse, par exemple). Encore quelques jours/semaines plus tard, il se jettera cette fois à l’eau et ira se balader dans la pièce, mais en maintenant un fort contact visuel avec vous (il vérifiera régulièrement que vous n’avez pas bougé d’un iota). Enfin, un beau jour, il sera en capacité de jouer loin de vous, de plus en plus loin. Il vous jettera quelques regards pour s’assurer de votre présence, mais ne viendra vous solliciter qu’en cas de réel besoin. Surtout, gardez courage ! Bien que les efforts que vous déployez ne sont pas toujours visibles à court terme, ils portent leurs fruits, jour après jour.
Mettre en place une référence-relais. Si vous vous sentez dépassé par la situation, il peut être intéressant de proposer à l’un de vos collègues de créer un lien privilégié avec l’enfant (à travers des temps de jeu, de repas…) et de prendre le relais quand vous-même n’en pouvez plus ou quand vous êtes absent. En revanche, mieux vaut éviter de multiplier le nombre de personnes qui gravitent autour de l’enfant. Celui-ci a besoin d’être attaché à une personne en particulier avant de pouvoir s’ouvrir au reste du groupe.
Lui proposer des câlins aux temps forts de la journée. Tous les jours, à heures fixes, aux mêmes temps forts de la journée, proposez à l’enfant de le prendre dans vos bras, de le ressourcer. Ce peut être à l’accueil du matin, au repas du midi, au moment du goûter et avant l’arrivée des parents en fin d’après-midi. Même si vous ne pouvez lui accorder qu’une seule minute, c’est une minute qui lui appartiendra, où il ne vous aura rien que pour lui.
Conserver un lien avec l’enfant, même si vous êtes à l’autre bout de la pièce. Si vous devez vous éloigner de lui pour vous donner le repas à un autre enfant ou préparer un biberon, efforcez-vous de maintenir un lien visuel et auditif avec lui. Montrez-lui que vous ne l’oubliez pas. Même à distance, regardez-le, parlez-lui, souriez-lui, racontez-lui ce que vous faites.
Passer physiquement le relais à votre collègue quand vous quittez une pièce. Lorsque vous devez quitter la pièce (pour partir en pause ou parce qu’il s’agit de la fin de votre journée), prenez le temps de confier l’enfant à l’un de vos collègues, de bras à bras. Tout en lui expliquant que vous vous apprêtez à partir. Dans les bras rassurants d’un adulte, le pic de stress provoqué par votre départ sera atténué.
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