Les jeux relationnels : l’éveil à la conscience de l’autre
Les jeux relationnels, qu’on qualifie aussi d’interactifs ou d’intersubjectifs, sont des jeux entièrement tournés vers l’enfant, tel qu’il est, avec sa sensibilité, dans l’ici et maintenant. Ces jeux peuvent commencer en réponse à un regard, un sourire, une vocalise d'un bébé qui manifeste ainsi sa disposition à interagir. Ils peuvent aussi être initiés par l’adulte tout en respectant la spontanéité des comportements du bébé.
Pour les professionnels, à domicile ou en collectivité, c’est un moment précieux pendant lequel découvrir les traits de personnalité de chacun. Pour les bébés, à une époque d’intrusion précoce de l’écran dans leur vie, c’est l’occasion d’interactions cent pour cent humaines et cent pour cent adressées à eux seuls.
Une relation tout en douceur, dans la juste distance
Un parent n’hésite pas à s’engager dans une relation de proximité corporelle dans laquelle caresses dans le cou, baisers sur le ventre, chatouilles sur les cuisses et tous les autres gestes affectueux occupent une place qui fait partie de l’intimité avec leur bébé. Le professionnel de la petite enfance, lui, doit trouver la juste distance pour être suffisamment en lien avec l’enfant sans surinvestissement affectif, sans intrusion maladroite dans sa sphère corporelle et sans rivalité avec les membres de la famille. Quant au bébé, il a une telle soif de relations à assouvir qu’il a besoin, plus d’une fois par jour, de moments de tête à tête avec un partenaire disponible et attentionné, y compris en l’absence de ses parents.
Au cours de la première année de la vie, le jeu partagé avec un adulte peut prendre différentes formes avec un degré d’intimité variable. L’important n’est pas dans la durée des échanges mais dans la qualité de la disponibilité et dans le plaisir de la communication verbale et non verbale. Je propose de distinguer les jeux de contact physique, les jeux d’imitation vocale et gestuelle, les jeux avec un objet intermédiaire.
Jeux de contact physique
Tandis que bébé est allongé ou assis, vos doigts se promènent sur son corps et s’immobilisent le temps d’un échange de regards, avant de reprendre leur route, accompagnée de votre voix chantée ou parlée. Ou bien bébé est dans vos bras et vous l’entrainez dans un mouvement de balancement dont vous modifiez le rythme au gré des signes de plaisir ou d’inquiétude que vous percevez chez lui. D’autres interactions ludiques dans lequel le toucher intervient sont possibles à condition d’éviter les chatouillements et taquineries que les bébés ont tendance à subir plus qu’à apprécier. L’important est de rester attentif aux émotions qui sont déclenchées, les signes de joie pouvant côtoyer ceux d’inquiétude ou de peur.
Ces petits jeux dans lesquels l’adulte s’implique et s’amuse autant que le bébé sont plus faciles à vivre qu’à décrire. Ils s’inventent au sein de la relation car ils obligent l’adulte à être très à l’écoute. Comme disait le psychiatre Daniel Stern « Les gestes du jeu doivent être assez stimulants pour entretenir l’animation, mais pas de manière excessive, afin de ne pas trop exciter et désorganiser le bébé. En revanche, il ne faut pas qu’ils soient trop monotones, sinon il s’ennuiera ». La surprise est un élément souvent présent au cœur de ces échanges : une répétition de gestes qui s’interrompt, un nouvel élément inattendu qui survient, un temps de silence qui suit des actions vives… Chez le bébé, ces jeux sollicitent la capacité d’anticipation, qui consiste à se préparer mentalement à l’épisode suivant.
Dans le petit jeu « la petite bête qui monte », dès 5 mois, le bébé semble avoir mémorisé l’enchaînement des actions. Il fait un léger mouvement de tête dès qu’il devine que les chatouillis vont arriver jusqu’à son cou. Le répertoire traditionnel de jeux de doigts et formulettes transmises depuis des générations et dans toutes les langues offre un large support vocal et gestuel dans lequel puiser. Scander « mi-net-te-chardon-neret-te-d’où-viens-tu-du bois » en caressant la main de bébé ou toucher alternativement son visage et le nôtre en chantonnant « ton front, il est à toi, mon front, il est à moi ». Inventer une petite histoire en vue d’établir un contact physique avec le bébé est également une occasion de jeu. Par exemple, mimer une coccinelle en posant son doigt successivement sur différentes partie du corps du bébé : « Coccinelle, où t'es-tu posée ? Sur le bout de ton nez ? Sur ta jambe ?, etc »
Jeux d’imitation vocale et gestuelle
• Jouer avec un bébé, c’est accepter de se laisser influencer par lui, que ce soit pour reproduire ses vocalises, répondre à ses mimiques faciales ou imiter ses gestes. Les sons prononcés par le bébé de moins de 6 mois sont si difficiles à répéter à l’identique que c’est l’adulte qui se retrouve en situation d’apprenti. Les babillages du bébé âgé de 6 à 12 mois sont constitués de syllabes de plus en plus aisées à différencier et donc à recopier. Le fait de jouer avec les bruits de bouche et avec la musicalité des mots fait partie de la spécificité du langage adressé à l’enfant de moins d’un an. Savoir varier la tonalité, le timbre et le rythme de la voix utilisée avec le bébé est une étape bénéfique sur le plan affectif, sensoriel et même langagier.
• Vous pouvez aussi engager des petits jeux de questions-réponses sur l’environnement proche ou sur les parties du corps : « Montre-moi... » ou « Où est… ? » pour le simple plaisir de désigner. Un autre jeu est d’inviter le bébé à imiter des gestes simples, qu’il a déjà vu utilisés dans le contexte approprié : faire « bravo » en frappant dans les mains, « bonjour » ou « au revoir » en ouvrant et fermant la main, « merci » en agitant le bras. La répétition de ces gestes, dans un contexte de jeu, contribue à la qualité de la communication verbale et non verbale. Tous les jeux d’imitation, en face à face, contribuent à la prise de conscience de soi et l’autre, que ce soit l’enfant ou l’adulte qui en prend l’initiative.
• Au fil des semaines, avec les progrès du développement psychomoteur, le bébé acquiert tout un répertoire de gestes qu’il aime faire pour le plaisir de maintenir la relation. Vers 9 mois, apparaît le pointage du doigt qui permet de montrer un objet en regardant si l’adulte le regarde aussi, ce qui est une manière de partager un état émotionnel. Bien d’autres jeux d’attention conjointe sont à inventer et à répéter parce qu’ils se nourrissent de la connivence mutuelle entre les deux joueurs. Avant l’âge de la marche, l’adulte est un partenaire particulièrement satisfaisant pour le bébé car il sait, bien mieux qu’un partenaire de son âge, s’adapter, suivre son rythme, adapter ses gestes à son niveau d’évolution motrice.
Jeux avec un objet intermédiaire
Les jeux d’apparition-disparition font partie des jeux incontournables qui gagnent à être répétés autant en famille que dans les autres lieux de vie, où le bébé passe du temps, séparé de papa-maman. Le classique des classiques, avec les mains devant le visage, devant un miroir ou avec un bout de tissu, est le jeu de « caché-coucou ». Ce jeu est particulièrement recherché au moment dit de l’angoisse du huitième mois, lorsque le bébé manifeste de l'inquiétude devant des visages non familiers et cherche des yeux le soutien d'une personne à laquelle il est attaché. Cacher et faire revenir un objet, qui était sous un coussin, dans une boîte, derrière le dos, sont autant d’occasions de complicité avec le bébé et l’aident à revivre l’absence et la présence des adultes qu’il aime.
• Dès que l’enfant sait attraper et reposer (entre 4 et 7 mois) et au delà, vous pouvez aussi lui tendre un petit objet léger en disant « tiens » et tendre la main ouverte en disant « donne ». Non pas d’une manière mécanique, juste pour vérifier qu’il a acquis un stade de préhension satisfaisant, mais en le regardant dans les yeux, en lui souriant et en donnant du temps à l’échange. Jouer à « tiens-donne » est une excellente occasion, par les gestes de donner et reprendre, de vérifier le plaisir que le bébé prend à s’engager dans la relation avec vous.
• Une autre variante peut se faire avec une plus grande distance physique, dans le jeu que j’appelle « avancer-reculer ». Vous vous asseyez en face du bébé lui-même assis ou allongé au sol et vous faites circuler une balle ou un jouet avec des roues, de manière à le faire aller et venir de l’un à l’autre. S’intéresser ensemble à la trajectoire de l’objet sollicite l’attention conjointe, notion déjà évoquée et aptitude essentielle du développement intellectuel et social.
• Un autre jeu plus souvent commencé par le bébé (surtout à partir de 9 mois) que par l’adulte est le « jeter-ramasser » qui lui permet de vérifier le pouvoir qu’il exerce sur autrui mais aussi de surmonter son angoisse. En étant celui qui lâche ou lance au loin, et non celui est abandonné, le bébé devient acteur et rejoue symboliquement les situations de séparation.
Ces jeux avec un objet qui sert de médiateur entre deux partenaires, malgré ce si grand écart d’âge, ont d’abord pour fonction de susciter plaisir d’être en relation et de rire ensemble. En même temps, ils peuvent vous apprendre à mieux connaître chaque enfant accueilli et vous donner des informations intéressantes à discuter avec les collègues et/ou la direction lorsque le bébé ne répond pas à la demande, refuse le contact ou détourne le regard.
Soutenir les débuts du jeu
Ces trois catégories de jeux sont l’occasion d’une relation individualisée avec chaque bébé, même de courte durée. Les assistantes maternelles et les auxiliaires parentales peuvent s’y adonner sans crainte du regard d’un autre adulte sur ces moments de régression contrôlée. En collectivité, non seulement il faut trouver du temps à accorder à chaque bébé présent mais il faut aussi pouvoir se mettre en retrait du groupe et réussir à créer une petite bulle propice à l’intersubjectivité. Ces jeux relationnels sont complémentaires des jeux corporels, déjà décrits et des jeux avec les jouets. Les uns et les autres participent de ce que le pédiatre et psychanalyste Winnicott a théorisé en tant qu’« élaboration de la capacité à jouer ».
Au quotidien, les assistantes maternelles, les personnels d’EAJE et les auxiliaires parentales peuvent remarquer que certains bébés ont besoin plus que d’autres d’être accompagnés dans le plaisir de jouer. Or, comme le dit le psychiatre Patrice Huerre, « La capacité à jouer qui s’acquiert la première année d’existence est déterminante pour pouvoir franchir aisément les diverses étapes de la vie. Les enfants qui n’ont pas eu cette possibilité risquent à l’adolescence de rencontrer des difficultés ».
Pour aller plus loin
A lire
Golse B., Les bébés savent-ils jouer ?, PUF, à télécharger sur : https://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2004-2-page-443.htm
Stern D., Journal d’un bébé, Odile Jacob
Marcelli D., La surprise, chatouille de l’âme, Albin Michel
Les jeux chantés de mon bébé, 42 comptines et jeux de doigts, Didier Jeunesse
A visionner : http://www.yapaka.be/video/jouer-seul-jouer-avec-un-adulte-les-deux-laident-a-grandir
Connectez-vous pour déposer un commentaire.