La micro-crèche de l’Espace Saint-Julien à Laval : tisser des liens de la petite enfance au grand âge

Une micro-crèche Tom&Josette s’est installée dans l’Espace Saint-Julien à Laval. L’ancien hôpital de la ville, ainsi rebaptisé, accueille désormais un extraordinaire lieu de vie intergénérationnel, éducatif et solidaire. Un projet un brin utopiste, porté par une armée de bénévoles et de professionnels, dont la seule ambition est de créer du lien entre les générations et de vaincre la solitude. 
Pour retrouver l’origine du projet, il faut remonter à 2016 lorsqu’un groupe d’amis a eu la folie d’imaginer que l’ancien hôpital de Laval - plus de 6000 m² habitables et son parc de 2 hectares au cœur de la ville - pourrait devenir un lieu de vie intergénérationnel, un espace de richesses et d’échanges à contrecourant de la société. Il fallait y croire. Cette idée utopique a commencé à prendre forme lorsque bienfaiteurs et investisseurs ont apporté leur soutien, touchés par l’âme de ce projet profondément éthique et humain, dans un lieu patrimonial à sauvegarder. 

Un lieu de partage au cœur de la ville  
En 2022, l’Espace Saint-Julien a accueilli ses premiers résidents. En plein centre-ville, sur les bords de la Mayenne, l’hôpital tenu par des religieuses pendant plus de trois siècles avait fermé ses portes en 1973 avant d’être occupé par un EHPAD jusqu’en 2008.

Les bâtiments rénovés accueillent aujourd’hui 7 pôles : 
  • Le Logis, une résidence de 59 appartements pour seniors autonomes non dépendants, qui ont la possibilité de partager des espaces communs et activités selon leurs envies et bénéficient de nombreux services sur place. 
  • La Maison de santé, trois médecins généralistes, une psychologue, une psychiatre, deux infirmières, et une kinésithérapeute, accessibles à tous. 
  • La Coloc, une résidence pour étudiants et jeunes professionnels. 
  • L’Internat, pour des collégiens et lycéens scolarisés en ville (prochainement). 
  • La Cabane, un accueil périscolaire, assuré par la paroisse catholique voisine, qui propose activités et soutien scolaire le soir après l’école, le mercredi et pendant les vacances scolaires. 
  • La Cale, un café solidaire ouvert à tous qui embauche du personnel porteur de handicap, sur le modèle entrepreneurial des Cafés Joyeux
  • Le Nid, une micro-crèche intergénérationnelle portée par Tom&Josette

L’expertise petite-enfance de Tom&Josette 
« A l’origine, se souvient Coraline Daydé, bénévole et responsable de la micro-crèche, nous n’avions pas de projet pour la petite enfance à Saint-Julien. On n’ouvre pas une crèche par hasard, il faut des compétences pour travailler dans la petite enfance ! Mais en 2019, Tom&Josette ont eu vent de notre projet et nous ont contactés. A l’époque, ils travaillaient à l’ouverture de leur première micro-crèche à Rennes ». Avec l’accord du fond de dotation qui porte le projet, une convention a été établie entre les deux partenaires. Désormais locataires de 137 m² avec jardin, Tom&Josette ont posé leurs valises à l’Espace Saint-Julien pour ouvrir, en août 2022, une micro-crèche intergénérationnelle, leur cœur de métier. 

Une crèche ouverte à la rencontre  
Au Nid, une petite équipe passionnée accueille chaque jour jusqu’à 12 enfants, avec un seul mot d’ordre, mettre de la joie dans le quotidien des enfants et des seniors ! Sous la houlette de Julie, la directrice et EJE de formation, une EJE, une CAP AEPE et une apprentie CAP AEPE constituent une équipe dynamique, fière de contribuer à ce projet hors du commun. « Je sens qu’il y a au Nid une véritable ouverture sur le champ des possibles. L’idée, c’est la rencontre de l’autre, se laisser porter par ce qui se passe au quotidien », explique-t-elle. Ici, les parents peuvent entrer dans la crèche, prennent le temps de jouer et de discuter. Et puis bien sûr, il y a les personnes âgées de la résidence, à quelques pas, que tous apprennent à connaitre au fil des jours : il y a celles que l’on croise en balade dans le parc, celles qui flânent en passant près de la clôture du jardin pour regarder les enfants jouer, et celles qui osent venir partager un temps convivial à la micro-crèche ou dans les espaces communs de la résidence.

Favoriser des moments de partage 
Les seniors sont invités à venir à la micro-crèche les mardis et jeudis, sur des créneaux d’une heure, pour lire des histoires, faire une activité, chanter des chansons, participer à un atelier... Ces temps de rencontre ont été ritualisés pour donner des repères aux enfants afin qu’ils se laissent davantage porter. Mais l’équipe s’est rapidement rendu compte que c’était également important pour les résidents, sans pour autant les contraindre à anticiper et s’inscrire. Certains ont demandé à ce qu’on leur mette un rappel sur leur téléphone ! A leur âge, la notion du temps n’est plus tout à fait la même et leurs plannings sont souvent chargés… « L’un des résidents, Renaud, 87 ans, est très populaire. Quand il vient, il s’installe, prend un livre, et tous les enfants se mettent en face de lui. On pourrait presque lui laisser les clés ! s’amuse Coraline. Il connait parfaitement les enfants, il serait capable de brosser le portrait de chacun à un nouveau venu. C’est le papy de tout le monde ! C’est drôle parce que cet homme-là est de haute taille, un ancien militaire. Et ce qu’il vit là avec les enfants est extraordinaire. L’an dernier, il a fait des crêpes pour la première fois de sa vie ! » Une autre résidente, Margaux, était agent dans les écoles. « Quand on lui parle de faire de la pâte à modeler avec les enfants, elle se plaint toujours du ménage qu’il va falloir faire après ! raconte Julie. Alors quand je lui assure « Margaux, moi je gère le ménage vous avez juste à profiter de ce moment avec les enfants », elle se laisse convaincre volontiers… C’est aussi la spécialiste de l’oubli de canne ! Il faut toujours lui courir après pour lui rendre : elle arrive avec et repart sans ! »

Le parc, carrefour des rencontres impromptues  
A Saint-Julien, la micro-crèche est mitoyenne de l’accueil de loisirs et à quelques pas de la résidence senior. Tous les pôles donnent sur un grand parc privé, espace vert inespéré au cœur de la ville, un lieu de jeux et de rencontres impromptues. Un potager y sera bientôt installé, mais déjà des aromatiques s’y épanouissent. Au mois de juin, un partenariat tissé avec Yves Rocher a permis de construire des carrés potagers avec les seniors, tandis que les enfants aidaient à mettre la terre et planter. « Au printemps dernier, les résidents étaient installés depuis quelques mois seulement, nous avons tous investi le parc comme jamais auparavant ! Il est devenu un vrai lieu d’échanges : on peut partir en balade avec les enfants sur un coup de tête, ce sera toujours l’occasion de rencontrer des seniors, de manière informelle. Parfois ce sont eux qui viennent saluer les enfants au jardin et les petits leur font la fête en les reconnaissant ! ». Les professionnelles l’ont observé, ce sont souvent les rencontres impromptues qui sont les plus magiques, celles où les enfants sont les plus actifs dans l’échange. Pour la micro-crèche, un petit jardin clos a cependant été aménagé, afin que les enfants puissent sortir librement en toute sécurité, mais la communication se fait aisément à travers le grillage, entre les enfants et les passants ! 

Etre appelé par son nom 
Après quelques mois à se croiser, à se côtoyer, les enfants appellent désormais les personnes âgées par leurs prénoms et osent les saluer, même lorsqu’ils sont hors contexte, avec leurs parents. Quel geste touchant pour ces seniors qui souffrent bien souvent de solitude ! Au sortir du Covid, cela revêt un sens particulier… Julie se souvient : « Un jour, un résident s’est fait surprendre par une petite fille au loin qui l’a appelé. Il était ému aux larmes de se savoir reconnu par l’enfant et d’avoir autant d’importance à ses yeux. C’est vraiment beau, cette idée de se reconnaitre, de s’appeler, de finir par connaitre les habitudes de chacun et de pouvoir en jouer. » Pour favoriser les échanges, l’équipe a glissé dans la boite aux lettres de chaque résident, un trombinoscope avec les prénoms des enfants pour les aider à les retenir.  

S’adapter avec souplesses aux besoins du groupe 
Au quotidien, l’équipe fait preuve d’une grande souplesse pour respecter les besoins des enfants et s’adapter aux différentes situations qui se présentent, au contact des personnes âgées. Et les lieux s’y prêtent tout particulièrement bien, de la micro-crèche à la résidence du Logis où ils disposent d’une véranda, d’un salon ou d’une salle de jeux pour se retrouver. « On utilise les espaces en fonction de ce que l’on souhaite proposer et du nombre de personnes, comme cela se présente à nous. Mais plus on est de fous plus on rit, on peut toujours s’adapter ! La semaine dernière, se souvient Julie, il y avait médiation animale. Quand on a vu le monde qu’il y avait, on a migré dans un autre espace, dans la véranda à l’entrée de la résidence. De fait, on était visibles d’autre résidents qui n’avaient peut-être pas osé venir ! » Une autre fois, à l’occasion d’un atelier musique, les résidents étaient confortablement installés dans le salon et ne se doutaient pas que l’équipe allait les faire danser ! « Et puis tout à coup avec l’énergie portée par les enfants, on voit tout le monde se mettre debout, et puis en fonction de ses capacités, danser, tourner sur soi-même... » s’émerveille Coraline.

Une vraie richesse pour les enfants 
Arès un an de cohabitation, les pros s’étonnent encore de l’impact si positif sur les enfants de ces rencontres presque quotidiennes avec leurs ainés. « J’ai 15 ans d’expérience en crèche, témoigne Julie, mais je trouve que les enfants sont ici très accueillants, et dans la découverte de l’autre. Chez nous, il y a toujours une place en plus ! Dès que la porte s’ouvre, ils n’ont pas un regard craintif comme on peut l’observer parfois, lorsqu’on veut beaucoup les préserver. Quelle chance de pouvoir avoir ce spectacle ! » Au niveau des générations, on est ici sur un rapport arrière-grand-parents / arrière-petits-enfants.  Avouons qu’aujourd’hui, il est rare que des enfants cultivent un tel lien de proximité avec leurs arrière-grand-parents, parfois même avec leurs grands-parents. « A la micro-crèche, souligne Coraline, les enfants les voient au quotidien et la personnalité des enfants se construit en douceur dans cette ouverture aux autres, sans crainte du grand-âge. » De leur côté, les personnes âgées apprécient de voir les enfants « dans leur enfance », n’ont pas cet engagement affectif dans l’autorité. La moindre chose qu’ils font les émerveille même lorsqu’ils montent sur la table ! « Un adulte, garant de l’autorité, de la sécurité ne va pas avoir ce même regard, et c’est très porteur pour les enfants », explique Julie.  

Pouvoir dire non et s’adapter au rapport au temps de chacun  
Avec lucidité, la directrice explique cependant que l’équipe veille toujours à ce que les enfants soient pleinement acteurs de la rencontre. « Les enfants ne sont jamais obligés et je pense qu’ils l’ont vite compris, précise-t-elle. Ils doivent pouvoir dire non ». Aux plus petits, elle propose également cette rencontre avec les résidents, en étant tout particulièrement attentive « à leurs réactions et à leur temps à eux qui n’est pas forcément notre temps. ». D’ailleurs, à l’ouverture de la crèche, les activités intergénérationnelles n’ont pas tout de suite été mises en place. Pour ce faire, il fallait déjà que les enfants se sentent à l’aise là où ils sont, et se sentent en sécurité avant de pouvoir se lancer vers les autres. Ce temps a été essentiel pour eux comme pour leurs familles. 

Conserver un regard lucide sur l’intergénérationnel
« Il est important de garder un sens critique sur l’intergénérationnel. Ça séduit beaucoup, ça fait de beaux articles mais il ne faut pas oublier tous les partenaires, insiste Coraline. Tous les seniors n’ont pas forcément un intérêt marqué pour les tout-petits. Certains ne viennent pas à la crèche mais sont plus à l’aise avec les enfants de l’âge primaire. En revanche, nous l’avons bien compris, tous les seniors ont un intérêt pour le goûter ! Ils étaient très nombreux à nous rejoindre pour notre fête de fin d’année, remarque-t-elle en souriant. D’ailleurs, à l’Espace Saint-Julien, on considère que les plaisirs de la table sont importants pour toutes les générations. Une cuisine centrale a été mise en place dès le démarrage du projet. Jonathan y cuisine à la fois pour le café solidaire, la résidence senior, la micro-crèche et l’accueil-périscolaire, et dépose ses enfants à la crèche chaque matin… 

A la juste distance 
Si certains aiment passer du temps auprès des enfants, d’autres préfèrent se contenter d’observer, de près ou de loin et de s’imprégner de cette agitation, de cette énergie qui réchauffe le cœur. Et Coraline d’évoquer une dame qui ne vient jamais à la crèche, mais promène chaque jour son chien dans le parc. « Les enfants aiment beaucoup aller la voir et connaissent mieux Moustique, son chien, que la dame je crois ! Elle pourrait choisir de passer sur le trottoir d’en face, eh bien elle choisit de passer au plus près de la micro-crèche. C’est une dame qui n’est pas très à l’aise en échanges, du moins avec les adultes. Mais sur les enfants, elle pose un regard incroyable ! C’est ce qu’on observe au quotidien et que l’on ne peut pas forcément quantifier… » Si certains résidents peuvent être sensibles au bruit (il faut l’admettre les enfants, c’est bruyant), d’autres ont justement choisi leur appartement parce que leurs fenêtres donnent sur la micro-crèche ! « Il parait que certaines invitent leurs amies de la résidence à boire un thé en écoutant le bruit de la vie de la micro-crèche ! » se réjouit l’équipe. Les enfants adorant bouger, il n’est pas rare qu’ils se promènent dans les différents pôles de l’Espace Saint-Julien. On comprendra que la plupart adorent aller au Café solidaire où il y a toujours quelques résidentes attablées, qui ont un petit gâteau à offrir aux gourmands…  
 
Appréhender la maladie et le décès 
Vivre aux côtés de nos anciens, c’est aussi découvrir le grand âge, parfois côtoyer la maladie, apprendre un décès. « Ça ne s’est encore jamais présenté, reconnait Julie, il est vrai que dans la petite enfance, on n’est pas formés à ça. J’ai davantage besoin d’accompagner mon équipe sur ces thématiques et c’est une attente de nos professionnels en matière de formation, pour mieux accompagner les enfants. Mais on se rend compte que les enfants sont dans l’instant présent, de ce que leur apporte la personne à ce moment-là. Nous aurons un échange très simple et direct avec les eux. » Elle raconte que lorsqu’un résident, malade, n’avait pas pu venir pendant plusieurs semaines, les enfants allaient mettre des dessins dans sa boite aux lettres ! Il y a aussi les petits signes discrets de leur présence enfantine, appréciables en hiver lorsqu’il est moins aisé de sortir. Les enfants de la crèche ont fabriqué des petits escargots en pâte Fimo avec des marrons et les ont déposés un peu partout dans la résidence. « Ça été très apprécié, reconnait Coraline. D’une activité facile pour les enfants, on part se promener et on va transmettre ! » 

Des ponts entre toutes les générations 
Comme l’Espace Saint-Julien réunit toutes les générations, les seniors ne sont pas les seuls à venir saluer les tout-petits. Les enfants de l’accueil périscolaire La Cabane viennent lire des histoires ou jouer avec eux, lorsqu’ils ne sont pas en train de jouer au baby-foot avec des seniors. La directrice a dû mettre en place un planning pour que chacun puisse avoir son tour ! Il n’est pas rare qu’un étudiant vienne jouer de la guitare à la micro-crèche, et des dîners s’organisent entre les jeunes et les résidents du Logis. 

Un comité de pilotage intergénérationnel réunit, une fois par mois, les directeurs et chefs de pôles, salariés et bénévoles. « C’est une instance qui nous permet de faire le bilan de ce que l’on fait, de pointer les difficultés, de chercher des solutions ensemble, mais aussi de constater toutes les belles choses vécues. Ça contribue à évaluer notre pratique », explique Coraline. 

Une collaboration atypique entre bénévoles et salariés 
L’histoire de l’Espace Saint-Julien a commencé avec une armée de bénévoles convaincus par ce projet. Aujourd’hui, par le fond de dotation mis en place, une vingtaine de professionnels salariés travaille main dans la main avec une cinquantaine de bénévoles. « On fait du bénévolat certes mais pas de l’amateurisme, défend Coraline. Bénévoles, nous sommes au service des résidents et des bénéficiaires (…) C’est difficile de faire des choses simples aujourd’hui ! Mais on se donne tous cette liberté-là. On observe et on se dit que si on a répondu à ce besoin là c’est que ça avait du sens ! ». Pour elle, regarder en arrière et constater le chemin parcouru en sept ans est la plus belle des récompenses… Julie, la directrice, est salariée de Tom&Josette, et pour autant bien ancrée dans l’Espace Saint-Julien. « Je respecte beaucoup les bénévoles qui ont travaillé pendant plusieurs années à mettre en place ce projet, avec des idées qui ont du sens. Même si l’on dit que c’est un peu fou, c’est un projet qui a du sens. Et moi qui ne voulais plus travailler en crèche, je suis revenue juste pour ce projet-là. Il fallait trouver les arguments ! Moi j’ai besoin de faire du lien entre ce que je trouve sur le terrain et comment mettre en place ces idées qui paraissent incroyables. Et ce que l’on fait est incroyable. » Un fringuant centenaire, installé depuis peu à la résidence, pose d’ailleurs des mots très forts sur ce qu’il vit ici, à l’Espace Saint Julien : « avant j’attendais que le temps passe, maintenant je profite de la vie. » 

Une association, Les Amis de Saint Julien, a été créée récemment pour rassembler toutes les personnes qui portent un intérêt à ce lieu, à ce qui s’y vit et toutes les bonnes volontés pour le soutenir. Car maintenant que le projet est lancé il faut assurer sa pérennité… 
Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 30 novembre 2023
Mis à jour le 12 juin 2024