Comment aider les tout-petits à apprivoiser la fragilité pour ne plus en avoir peur
Pourtant, la fragilité fait « partie du vivant et de presque tout ce qui a l’incroyable chance d’exister. Savoir la prendre en compte est une sorte de boussole, un signal précieux, car bien souvent c’est dans des moments potentiellement dangereux que l’on se sent fragile », ajoute la psychologue Léa Didier.
Quelque chose de « pas bien » qui « fait peur »
Le hic, c'est que la société valorise la force et donne peu de place à la fragilité « qui est perçue comme pas bien, déplore Françoise Giromini. C'est d'ailleurs compliqué d'être fragile parce qu'il faut toujours faire attention. Une personne timide, émotive, sensible est souvent considérée comme fragile. A contrario, le costaud ne l'est pas car un corps fort résiste mieux aux agressions extérieures qu'un corps faible. »
La fragilité est donc associée à la faiblesse. Du coup, « elle fait peur, analyse Léa Didier. Encore plus aux garçons si souvent soumis à l’injonction d’être continuellement forts. Les libérer de ce mirage est pourtant impératif pour qu’ils puissent traverser ce qu’ils vivent sans honte, sans déni et sans rejet brutal. »
« Tu ne peux pas » à la place de « tu ne veux pas »
Pour réhabiliter le mot, il faut commencer par l'utiliser, en parler et y réfléchir. Et, surtout, arrêter de considérer la fragilité comme une diminution par rapport aux autres. « La fragilité n'est ni bien, ni mal. Elle est, martèle Françoise Giromini. Dire à un enfant « tu ne peux pas » à la place de « tu ne veux pas », ça change tout car ça l'autorise à penser qu'il peut être fragile. »
La fragilité n'est pas un gros mot et en parler avec les tout-petits permet de construire avec eux la compréhension de cette notion. « Pour qu'ils ne l'associent pas à la faiblesse ou à l'impuissance, nous pouvons leur transmettre que la fragilité fait partie de chacun et qu'elle n'empêche ni de connaître ses forces, ni de vivre paisible, suggère Léa Didier. Quand on se sent fragile, c'est un moment parmi d'autres. Les aider à apprivoiser cela leur permet d'avoir moins peur, de les rassurer. »
« Lui permettre d'intégrer ses possibilités et ses limites »
Mais pour apprivoiser la fragilité, il faut l'éprouver. Lorsque le tout-petit commence à se déplacer (à partir de 6-7 mois), il fait l'expérience de l'extériorité de lui-même. Il se décentre. Il fait du 4 pattes et ensuite il n'a qu'une envie : se mettre sur deux pieds pour faire partie de l'humanité. « Tous les tout-petits éprouvent leur fragilité à ce moment-là, rappelle Françoise Giromini. L’accompagner dans ses découvertes et dans ses questionnements va lui permettre de s’autonomiser tout en intégrant progressivement ses possibilités et ses limites en toute sécurité. » Cela nécessite aussi de maîtriser sa prosodie. « Selon l'intention de la personne, l'injonction « fais attention » peut-être prise par l'enfant soit comme un reproche coercitif, soit comme une mise en garde bienveillante », prévient la psychomotricienne. Les tout-petits sont très compétents pour percevoir la nuance.
Dans les crèches conçues par des professionnels, l'espace est balisé et les enfants peuvent évoluer sans se faire mal. Mais la fragilité intervient sans cesse dans nos quotidiens. À part mettre les objets précieux à l'abri, difficile de métamorphoser son domicile en une halte-garderie… « Si quelque chose se casse, aidons les enfants à réparer et à prendre soin sans les culpabiliser, propose Léa Didier. Accéder à la réparation permet d’être fort en apportant son soutien et non en détruisant. »
« Refuser sa fragilité, c'est refuser les limites »
Avec un tout-petit considéré comme très fragile, cependant, pas simple de le laisser expérimenter tranquillement. L'envie de faire à sa place est forte, au risque de l'empêcher d'intégrer ses possibilités et ses limites… « Un enfant qui se sent en permanence fragile peine à connaître sa force », alerte Léa Didier.
À l’inverse, un enfant peut se durcir et endosser la carapace de la toute-puissance parce que la fragilité lui fait peur. Il joue à l’invincible, à la brute ou au super-héros et risque de se mettre en danger. « Refuser sa fragilité c’est aussi refuser les limites. Privé de ces repères, il risque aussi de maltraiter les autres », synthétise la psychologue.
D'un côté trop fragile, de l'autre pas assez… « Parler avec les enfants de la fragilité pour qu'ils l'apprivoisent permet d'éviter aussi ces deux écueils, rassure Léa Didier. Peu à peu chacun comprend qu’il n'y a pas d'un côté les faibles et de l'autre les tout-puissants. Tout est affaire d'équilibre et de nuances entre fragilité et force. »
La fragilité apprend l'entraide, la collaboration, l'empathie…
En contrepartie, la fragilité apporte beaucoup aux tout-petits et, surtout, au collectif. « Elle leur apprend à prendre soin d’eux et des autres. Elle les ouvre à l'entraide, à la collaboration, à la réparation, à l'empathie. Ce sont des notions joyeuses, qui se placent du côté des liens et de l'amitié », remarque Léa Didier qui suggère d'apprendre aux tout-petits qu'ils ont le droit de demander de l’aide lorsqu’ils se sentent fragilisés.
Dans une crèche par exemple, si un enfant se fait mal, pourquoi ne pas mobiliser tous les autres pour le soulager, le soigner, se mettre à sa place et trouver une solution ? « C'est à l'adulte de solliciter le collectif. Dès 12-15 mois, ça marche. La relation d'aide est réelle », conclut Françoise Giromini.
L'exposition Fragile ! accueille les petits curieux jusqu'au 8 janvier 2023 à l'espace des sciences et de l'industrie de Paris.
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