Destruction de parentalité. Par Pierre Moisset
Sociologue, consultant petite enfance
Pour rappel, après m’être -très rapidement - interrogé sur l’évolution de la politique de soutien à la parentalité dans notre pays, j’ai pointé le fait qu’elle restait entachée de flous importants, notamment qu’est-ce qui motive cette politique de soutien à la parentalité ? Les difficultés dont prennent les consciences certains parents et qu’ils transforment en demande pour être aidés ? Ou bien les difficultés identifiées par des professionnels chez les parents sans que ces derniers en aient conscience ni n’en fasse, en quoi que ce soit, une demande ? Dans le même ordre d’idée. Quels sont les savoirs et approches qui structurent cette politique de soutien à la parentalité ? Des savoirs et approches des parents, de leurs difficultés sociales, économiques, culturelles et des approches pour les aider à y faire face ? Ou bien des approches de l’enfant et de ses besoins et les attitudes que ces besoins demandent de la part des parents ?
Bien sûr, on pourrait répondre, à chaque fois, « les deux ». Et me rétorquer que les termes que j’oppose sont, en fait, complémentaires et se retrouvent dans les dispositifs et les pratiques des professionnels du soutien à la parentalité. J’avoue, je ne le pense pas. Je crains que ces termes, même s’ils sont tous les deux présents, ne soient pas si faciles à manier côte à côte et sans articulations plus explicite entre les deux.
Enfin, j’ai tenté d’illustrer le fait que les parents avaient peut- être moins à se voir rappeler des compétences qu’ils avaient et en lesquelles ils auraient perdu confiance, que de se voir mis en contact avec d’autres façons de faire et d’agir auprès de leurs enfants, ce qui constitue à mon idée, des occasions de création de parentalité.
Pour poursuivre cette réflexion, je propose, dans cette chronique d’évoquer ce que peut être une « destruction de parentalité ».
Commençons par la scène : « (Mme) Je leur ai dit voilà moi à la maison il commence à aller sur le pot , est-ce que vous vous faites un suivi ou pas ? Parce que si moi je fais le suivi et que ça ne suit pas derrière, ce n’est pas la peine. Elles m’avaient dit non surtout pas, ce n’est pas avant 18 mois etc. Je leur ai dit s’il ne se sent prêt je ne vois pas pourquoi j’attendrais 18 mois. Ils m’ont dit non ça va le bloquer etc. Je leur ai dit non, si ça le bloque je vais arrêter.(..) j’avais l’impression d’être une mère indigne. » Nous sommes dans le cas d’une mère, dont l’enfant est accueilli en crèche. Une mère qui prend au sérieux le principe, souvent présent, manifesté par les professionnels de l’accueil : « Vous commencez (le passage au pot, à la cuillère etc…) et on continue ». Un principe qui, justement, incarne l’idée que le parent est le premier éducateur, qu’il a une connaissance et une perception pertinente et particulière de son enfant et que, donc, c’est lui donne le « La » du franchissement des différentes étapes de son développement. Et là, manque de chance pour cette mère, elle tombe sur des professionnels qui, malheureusement, pensent qu’elle s’y prend trop tôt. D’où leur réaction « il faut attendre 18 mois ». Et la mère leur répond par la perception qu’elle a de son enfant « s’il est prêt je ne vois pas pourquoi j’attendrais». Mais les professionnels tiennent ferme sur la norme qu’ils pensent meilleure, opposable au souhait du parent « 18 mois ».
Et la mère se sent alors invalidée, d’où sa conclusion : « j’avais l’impression d’être une mère indigne ». Et dans cette phrase, on peut entendre deux formes d’invalidation : elle est indigne parce qu’elle n’a pas su bien lire les besoins de son enfant en pensant qu’il souhaiterait passer au pot avant 18 mois alors que c’est bien connu, il en aura envie à 18 mois… Et elle est indigne parce qu’elle n’est pas très bien intentionnée envers son enfant puisqu’elle projette sur lui son désir de le voir évoluer plus vite au détriment de son propre développement. Et là, on assiste en direct à de la destruction de parentalité.
Détaillons cela : qu’est-ce que dit cette mère à l’équipe ? Il commence à aller sur le pot, c’est à dire, je le précise par rapport au contexte de l’entretien, il le demande et je le suis. Elle fait donc part d’une observation de son enfant (il demande le pot) et d’un ajustement de son attitude (elle lui propose le pot). Et les professionnels lui répondent sur un principe, une connaissance théorique issue d’une observation moyenne : pas avant 18 mois. Elle insiste en indiquant bien qu’elle continuera à observer et saura s’ajuster « si ça le bloque, jarrêterai ». Mais les professionnels continuent à répondre par le principe « 18 mois ». Et là, la confiance que cette mère pouvait avoir dans sa propre perception (c’est bien mon enfant qui me le demande, ce n’est pas moi qui ai suffisamment bien manœuvré pour qu’il ne puisse que me le demander) est entamée. De même que la confiance qu’elle pouvait avoir en sa propre intention (je suis bien en train de répondre aux demandes de mon enfant pas de lui imposer mon calendrier fantasmatique). Aussi, une sensibilité et une capacité d’action qui existaient en elle avant cette interaction, et qui constituaient une partie de son répertoire de parentalité, a été entamée voire temporairement détruite et on assiste, donc, à de la destruction de parentalité. Bon, fort heureusement, les choses n’en sont pas restées là, cette mère a fait sentir son indignation et sa colère aux professionnels et ne s’est pas laissé remettre en question si facilement.
Et, au final, que retenir de cette histoire si on la met en parallèle avec ce que je disais de la création de parentalité dans ma précédente chronique ? Que tout se joue au niveau de l’observation de l’enfant, des essais et des réajustements avec l’enfant, de l’apprentissage, de la culture, de l’intégration de cette observation et de ces réajustements dans les pratiques de l’ensemble des éducateurs, parents comme professionnels. En effet, dans cette histoire, les professionnels n’ont pas répondu par de l’observation « Tiens, nous c’est vrai qu’à la crèche il ne demande pas du tout le pot. Mais on peut essayer, pendant un certain temps, pour voir s’il a également envie de jouer cela maintenant avec nous ». Mais encore «Oui, il demande le pot ? ça se passe comment ? Vous lui proposez et il montre un intérêt ? Il montre l’objet qui reste présent dans son environnement quand il a envie ? ça s’est passé comment la dernière fois ? ». C’est cette observation et ces essais qui étaient présents dans l’exemple de ma précédente chronique : la mère a essayé de dire non aussi fermement et calmement que la professionnelle qu’elle a observée, et elle a constaté – au bout d’un certain nombre d’essais – que son fils savait l’entendre comme il le faisait avec la professionnelle.
En conclusion, tout cela me semble démontrer que les questions d’accompagnement de la parentalité consistent à pouvoir exposer, de manière sensible, les parents à d’autres manière de faire et de se positionner avec leurs enfants. Des manières que parfois ils n’ont pas. Plus précisément encore, il s’agit de recentrer, par l’observation et les essais et réajustements, les parents (comme les professionnels) sur l’enfant, ce qu’il manifeste, la façon dont il répond à ce qu’on lui propose. Il s’agit – pour renvoyer à une autre de mes chroniques – de sensibiliser à l’éducation comme travail, comme recherche d’ajustement à un enfant en développement. Cette approche me semble avoir pour vertu de dédramatiser la parentalité (il ne s’agit pas d’être un bon ou un mauvais parent mais surtout un praticien attentif qui peut toujours pratiquer pour mieux comprendre). Mais elle repose, par contre, sur une approche de l’enfant qui n’est pas neutre ni également partagée dans le corps social : l’enfant comme sujet d’attachement et de développement qui demande de la proximité affective et des interactions attentives à ses enjeux pour pouvoir se développer.
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