Rencontre avec Adrien Taquet, secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux familles
Les Pros de la Petite Enfance : Vous avez mené deux grands chantiers, je mets volontairement de côté celui de la protection de l’enfance, les 1000 premiers jours et la réforme des services aux familles. Considérez-vous que vous les avez menés à bien ?
Adrien Taquet : Globalement, j’ai fait ce que je m’étais dit que je ferais quand j’ai été nommé il y a trois ans et demi. Et, voire un peu plus notamment guidé par l’actualité et par des sujets qui ont émergé : je pense au syndrome du bébé secoué, à la prostitution des mineurs…
Après on peut considérer qu’il fallait faire différemment, aller plus vite mais néanmoins, j’ai fait tout ce que j’avais prévu de faire. Dont les deux sujets que vous évoquez, en particulier. Il y a eu des étapes qui ont été franchies sur lesquelles on ne reviendra pas. Tous les sujets de politique familiale sont des sujets systémiques et structurants, qui invitent à toujours passer par différentes étapes. Chaque étape franchie est un progrès. Et selon moi, des étapes essentielles ont été franchies.
Prenons les 1000 jours par exemple, nous avons imposé dans le débat public ce concept des 1000 premiers jours, nous l’avons installé comme une politique publique à part entière. Nous avons pris un ensemble de mesures très concrètes qui changent la vie des gens et des professionnels : le doublement du congé de paternité, les entretiens pré et postnatal remboursés par la sécurité Sociale.
La réforme de services aux familles aussi a permis de franchir un certain nombre d’étapes depuis le début du quinquennat, qui constituent les prémices d’un service public de la petite enfance. Mais ce sont des chantiers longs à conduire, et il y a donc encore à travailler sur ces sujets.
Les pros des modes d’accueil se sont peu - moins - emparés des 1000 jours contrairement à leurs collègues de la santé et de la périnatalité…
Je ne suis pas d’accord avec vous. Quand je visite des crèches, on en parle, les appels à projets 1 000 premiers jours ont eu un certain succès auprès des modes d’accueil. Une chose est sûre, il ne faut pas que les professionnels de la petite enfance se sentent moins concernés parce qu’ils le sont pleinement. Une des questions centrales de cette démarche des 1 000 premiers jours, qui constitue un projet de société dans son ensemble, c’est la coordination et la coopération de tous les acteurs de la vie de l’enfant à cette période de sa vie, dont bien sûr les professionnels des modes d’accueil. Donc à ce titre-là ce sont des acteurs plein et entiers des 1000 jours.
Les professionnels de la petite enfance, en tout cas certains professionnels de la petite enfance, malgré votre volonté de jouer la carte de la concertation jusqu’au bout, notamment sur la réforme des services aux familles, se sont parfois voire souvent considérés comme mal traités. Comment vous l’expliquez-vous ?
Je pense déjà que ce sentiment de non considération ne date pas d’aujourd’hui. Peut-être que ce sont des professionnels et des professions qui n’ont pas été suffisamment considérés depuis des années, des décennies même. D’ailleurs, il faut attendre 2016 et le rapport Giampino pour que leurs métiers soient vraiment reconnus à part entière. Je pense que l’on pâtit encore de cette défiance qui s’est instaurée au fil des années. Nous nous efforçons de rétablir cette confiance. D’où le choix d’une méthode fondée sur la discussion, la concertation, de la reconnaissance des points de divergence… Nous avons toujours expliqué nos propositions et nous avons écouté. D’ailleurs nous avons évolué sur un certain nombre de choses. Mais force est de constater que certaines personnes, qui se disent parler au nom de l’ensemble des professionnels de la petite enfance sans pour autant forcément les représenter, ne sont pas prêtes à s’inscrire dans une démarche de dialogue constructif.
Mais vous comprenez certaines de leurs insatisfactions ? Je pense notamment aux assistantes maternelles qui attendaient une réforme du Cmg, à laquelle vous sembliez favorable.
De fait, la réforme du Cmg ne fait pas partie des mesures qui ont été mises en place à cette fin du quinquennat même si, en effet, j’avais saisi le HCFEA d’une demande de rapport sur ce sujet. Ce rapport a au moins permis de le remettre dans le débat et la discussion.
Vous avez pu constater que ces derniers mois on a beaucoup parlé du service public de la petite enfance : à la Conférence des familles, le Président de la République lui-même en a aussi parlé lors de son discours début janvier devant les acteurs de la solidarité.
Le service de la petite enfance, nous avons commencé à le faire : la charte nationale de l’accueil du jeune enfant ayant force de loi, le comité de filière Petite Enfance, le plan de formation des 600 000 professionnels… Tout cela en fait partie. Reste la question de la compétence et la question du taux d’effort des familles. Et il est très clair dans notre esprit que cela impliquera que le taux d’effort pour les parents soit le même quel que soit le mode d’accueil choisi, individuel ou collectif. Et cela impliquera donc une réforme du Cmg en ce sens. Et d’ailleurs, toujours sur le Cmg, vous avez vu que le Président de la République a aussi proposé en début de semaine son extension jusqu’aux 12 ans de l’enfant pour les familles monoparentales.
En ce qui concerne la réforme des services aux familles, une mesure cristallise tous les mécontentements : celle permettant à titre optionnel qu’un professionnel encadre 6 enfants quel que soit leur âge. Regrettez-vous a postériori d’avoir introduit cette option dans la loi ?
Je rappelle que c’est précisément un des points sur lesquels la concertation nous a conduits à évoluer. Au tout départ, nous ne l’envisagions pas forcément comme optionnelle, car nous pensions que cette mesure, qui selon nous ne contrevient pas à la qualité d’accueil puisque le taux moyen réel est plus proche de 1 pour 7, apporterait de la simplicité pour les gestionnaires et ceux qui les contrôlent. Devant les réticences de certaines organisations, nous avons maintenu la règle actuelle et proposé ce nouveau taux d’encadrement à titre optionnel.
Je maintiens plus généralement que toute la réforme tend globalement à une meilleure qualité d’accueil.
Au final, sur cette réforme, avez-vous le sentiment d’avoir pris les bons arbitrages et les justes décisions ?
Il s’agit d’une réforme de compromis entre différents points de vue, j’ai toujours indiqué qu’il en serait ainsi : certains acteurs sont satisfaits de certains points, d’autres le sont d’autres points. C’est la nature d’un compromis. Mais toutes mes décisions ont été prises et sont prises en fonction de l’intérêt de l’enfant – et en cela j’ai aussi agi et réagi en tant que parent. C’est l’intérêt de l’enfant qui a guidé mes choix et arbitrages, et qui m’a poussé et me pousse à œuvrer à une unification du secteur (pas à une uniformisation) dont le dénominateur commun sera toujours l’intérêt enfant. Prenons le cas dans la réforme d’un sujet peu commenté… Toutes les nouvelles crèches devront disposer d’un jardin, en tout cas d’un espace extérieur. Voilà une mesure qui va profiter avant tout et incontestablement aux enfants.
Vous avez pris un sujet à bras le corps avec la mise en place du comité de filière : la pénurie de professionnels, la crise de recrutement et le manque d’attractivité des métiers. Il y urgence et cela va être long, ne pensez-vous pas que ce chantier aurait dû être ouvert dès le début de quinquennat tant il est prioritaire ?
Oui et non. Il aurait probablement fallu commencer à travailler sur ce sujet plus tôt, mais pas seulement dès le début de ce quinquennat, bien avant. Et nous n’avons du reste pas beaucoup tardé à poser les premiers jalons, puisque le plan de formation des 600 000 professionnels de la petite enfance était déjà inscrit au plan de lutte contre la pauvreté présenté dès 2018. Puis, dès que la crise sanitaire nous en a laissé la possibilité, nous avons accéléré avec le comité de filière dont l’objet est précisément de s’atteler à l’attractivité des métiers qui repose sur la reconnaissance financière mais aussi sur des perspectives de carrière, de progresser, d’avoir des passerelles ; tous les sujets sont sur la table et l’aspect financier n’est pas oublié.
A titre personnel, que retirez-vous de ces années au gouvernement ?
D’abord, cela m’a conforté dans l’idée que la politique sert à quelque chose, à changer la vie des gens. Je le sentais déjà comme député. En tant que ministre, il y a un effet de levier encore plus fort. La politique a un sens et une utilité.
Et sur un plan très personnel, je dirais que ces années passées à ce secrétariat d’Etat m’ont bonifié en tant que père. J’ai appris et découvert et donc abordé certains sujets sous un autre jour.
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