Création de parentalité. Par Pierre Moisset
Sociologue, consultant petite enfance
Ces différents travaux ont été l’occasion de rappeler que cette politique n’était pas dotée de crédits très importants, qu’elle repose sur une multitude d’acteurs et d’actions sans, justement, de principes d’actions très structurants d’où souvent, une difficulté à y voir clair sur le périmètre exact de ces actions, leurs modalités pratiques, leurs publics ainsi que leur efficacité.
Ces différents travaux et débats ont également pointé le fait que, dans notre pays, cette politique de soutien à la parentalité s’enracine dans une tradition fortement universaliste (elle doit s’adresser à tous les parents, sans ciblage particulier) ainsi qu’une approche « non normative ». Il n’y aurait pas de meilleure manière d’être parent qui pourrait s’enseigner et se transmettre en tant que tel et il faut donc accompagner et aider les parents dans leur manière d’être parents sans prétendre mieux savoir qu’eux.
La charte en préparation semble effleurer ces enjeux et tensions sans les résoudre puisqu’elle rappelle la « logique universelle » des politiques de parentalité tout en pointant comme principe : « Agir tôt dans les étapes de la parentalité, du développement des enfants ou lorsqu’une difficulté apparaît, pour être plus efficace : accompagner les parents participe d’une démarche de prévention. » Il faut donc être universel tout en sachant intervenir tôt et là où il y a une difficulté. Toute la question étant celle des modalités d’identification de cette difficulté sans recourir à des normes extérieures aux parents… Est-ce la seule demande des parents qui va permettre de désigner une difficulté à résoudre ? Sachant que, par ailleurs, la charte a comme autre principe : « Respecter les principes d’égalité entre les femmes et les hommes et de coparentalité : l’accompagnement des parents est soucieux de ne pas entretenir les stéréotypes. »
Or, tous les parents, homme comme femme, ne sont pas désireux d’être traités en égaux ou, du moins, peuvent justifier une grande inégalité de présence et d’investissement auprès des enfants au nom d’une différence homme/femme ou père/ mère. Néanmoins, cette charte avance puisqu’elle précise que les dispositifs de soutien à la parentalité sont « (…), tous légitimes dès lors qu’ils explicitent les approches et objectifs qui les sous-tendent et s’inscrivent dans une démarche d’évaluation. ». Bref, la tension entre universalisme et ciblage social ou autre n’est pas résolue, la nature des difficultés de parentalité non plus, mais il y a un appel à l’explicitation et l’évaluation.
Pourquoi vous raconter tout ça ? Notamment parce que j’ai toujours été gêné face aux actions de soutien à la parentalité et, plus précisément, sur la conception de la parentalité qui semble les sous- tendre. Une conception où, rapidement dit, le parent est le premier éducateur, légitime dans sa singularité et ses valeurs. Un parent qu’il s’agit d’accompagner, d’aider parfois à prendre tout sa place et son envergure en tant que parent sans l’altérer par des savoirs et connaissances censément supérieurs ou opposables, parce que scientifiques et universels, à sa singularité.
Face à cela il me semble que, premièrement, oui il y aurait à renforcer ou cibler les actions de soutien à la parentalité parce qu’il existe quelque chose que l’on peut appeler « pauvreté éducative » par delà le fourmillement de difficultés parentales plus ou moins passagères qui parcourt l’ensemble du corps social. Deuxièmement, que la parentalité n’est pas toujours à l’intérieur du parent. Autrement dit que les parents n’ont pas forcément en eux les normes les plus pertinentes, les savoir faire et les attitudes optimales pour le plein épanouissement de l’enfant. L’aptitude à être parent me semble en bonne partie procéder de la capacité des parents à s’interroger sur leurs pratiques à l’égard de leurs enfants ainsi qu’à « incorporer » des façons d’agir qu’ils peuvent saisir dans leur environnement et, par exemple, auprès des professionnels de l’accueil de la petite enfance dans des conditions bien particulières. C’est en cela que je suis tenté de parler de création voire de destruction de parentalité plutôt que d’accompagnement.
J’illustre mon propos concernant la création de parentalité. Lors d’une étude j’avais rencontré une mère de quatre enfants, qui s’était arrêtée de travailler pour garder son petit dernier qu’elle trouvait très dur, très rétif à l’autorité. « Mais lui il est trop trop difficile, c’est un coriace, il a son caractère. A chaque fois qu’on lui dit non lui il hurle, il va se taper la tête par terre ou contre les murs. » Souhaitant recommencer à travailler, elle le fait accueillir à la halte-garderie et, un jour, venant le chercher, elle observe que son fils obtempère tranquillement au « non » que vient de lui signifier une professionnelle. Sans qu’elle cherche alors un conseil ou une connaissance auprès de cette professionnelle, elle se ressaisit de cette scène pour appliquer, chez elle, un « non » ferme à son fils et ne pas céder, et elle y parvient malgré les colères de son fils.
Parce qu’elle sait maintenant qu’il peut écouter un « non » dit tranquillement, que cette relation est possible avec lui. Qu’est ce qui se passe durant cette scène ? Cette mère, par l’observation, incorpore à son répertoire de parentalité une attitude « le non tranquille et inflexible » qui n’y existait pas, ou pas assez solidement avant. Il y a là, pour moi, quelque chose que l’on peut appeler une création de parentalité. En permettant à cette mère d’assister à cette scène (qui correspond à une pratique ajustée de la professionnelle par rapport à cet enfant) , on lui permet de se saisir d’une attitude, d’une possibilité et de la faire sienne, de l’essayer pour l’incorporer dans le rapport à son enfant. Et cela met en lumière, pour moi, le fait que la parentalité n’est pas forcément à l’intérieur du parent et, donc, que justement accompagner les p
arents c’est (notamment) leur permettre de rentrer en contact de manière sensible avec d’autres regards et d’autres manières de faire avec leur enfant pour les intégrer.
Mais, précisons- le, ces manières autres de faire peuvent être tentantes pour les parents parce qu’elles contribuent mieux au bien- être et à l’épanouissement de l’enfant. Dans mon exemple, l’enfant apparaît bien plus serein et aimable quand il écoute le non que quand il se cogne la tête par terre… Autrement dit, il y a bien des manières de faire avec les enfants plus heureuses que d’autres, et elles ne sont pas forcément connues et éprouvées par les parents. Ni à égalité par tous les parents des différents milieux sociaux.
Une politique de parentalité devrait notamment s’attacher à ces possibilités pour les parents d’entrer en contact avec ces manières de faire et d’être afin qu’ils puissent les intégrer et construire ainsi une part de leur parentalité.
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