Comment leur apprendre à manger seul ?
La crèche est le lieu des nouvelles explorations et des nouveaux apprentissages pour les jeunes enfants. Souvent, c’est dans ce cocon qu’ils apprennent à manger seuls. Mais comment savoir à partir de quel moment ils sont capables de tenir une cuillère dans leur main et de la mettre en bouche ? « On n’aime pas trop mettre des âges sur les étapes de développement chez car chaque enfant évolue à son rythme », explique Jérémy Styns, éducateur de jeunes enfants à la crèche Rigolo Comme la Vie de Socx*. Une chose est sûre : « c’est en observant l’enfant que l’on va savoir » explique- t-il. Ainsi, dès qu’un petit est en période de jeu, en motricité libre, c’est le moment idéal pour être attentif à son comportement. Lorsqu’on observe qu’il a la volonté de mettre un objet en bouche, qu’il le cherche du regard, coordonne ses mouvements pour le saisir et enfin le mettre en bouche, c’est le bon moment pour lui proposer une deuxième cuillère ! Au départ, l’enfant va tout simplement jouer avec. Puis, de jour en jour, il va lui-aussi observer le/la professionnel(le) avec la cuillère et comprendre sa fonction. Il va alors adopter son geste, et mettre à son tour sa propre cuillère en bouche. La deuxième cuillère est-elle spéciale ? « Non, pas du tout ! Inutile de choisir des cuillères high-tech », commente Jérémy. « J’ai vu des cuillères qui pivotaient seules, qui se remplissaient seules mais cela n’aide pas l’enfant selon moi, » poursuit-il. « Faire l’effort de remplir sa cuillère de purée, en renverser pendant le trajet jusqu’à la bouche ne fait-il pas partie de l’apprentissage ? C’est grâce à cela que l’enfant ajuste son geste, coordonne davantage ses mouvements… ». Le seul conseil sur le choix de la cuillère réside dans le fait de privilégier des toutes petites en silicone pour les bébés, pour éviter un contact froid et trop intrusif.
Considérer le temps de repas comme une activité
Souvent, les professionnels repoussent un peu l’âge de la double-cuillère dans l’objectif de gagner du temps. Devoir nettoyer ce que l’enfant a mis par terre, le changer, ranger sont autant autant de points qui freinent certains professionnels. « Mais il faut accepter que cela prenne du temps et qu’il y en ait partout » insiste Jérémy. « Des astuces pour gagner du temps, il n’y en a pas ! C’est alors notre vision des choses qu’il faut changer. A partir du moment où l’on sait que le repas va prendre du temps, prenons-le ce temps ! ». Son idée ? Faire du repas, un moment d’activité comme une autre. Pour l’enfant, tout est expérimentation. « Il peut alors se passer plein de choses intéressantes pendant un repas : de la motricité, de la découverte, de la coordination, l’apprentissage des sens, des limites de son corps… » explique t-il. « Quand on regarde le repas sous cet angle, notre vision change et on l’aborde complètement différemment. On peut aussi mettre en mots beaucoup de notions : c’est chaud, c’est froid, ça colle, c’est mou… On est alors davantage dans l’échange et pas uniquement dans le simple fait de nourrir un enfant. Et on prend plaisir ensemble dans cette découverte », raconte l’éducateur. Mais pour mettre cela en place, il faut un véritable travail d’équipe !
Etre « phare » pour l’enfant
Pour pouvoir prendre ce temps pendant les repas, il faut auparavant une réflexion d’équipe pour trouver la bonne répartition des rôles. « Le risque en crèche c’est que l’on soit tous occupés à donner à manger, et qu’on oublie presque ceux qui ne déjeunent ou ne goutent pas encore » témoigne Jérémy. « On a cette tendance à vouloir tous donner à manger en même temps aux enfants mais c’est une erreur. Il faut au contraire désigner un professionnel qui puisse être « phare pour l’enfant » comme l’explique Anne Marie Fontaine (ndlr : psychologue et formatrice à la petite enfance). » Etre phare, c’est être assis en face de l’enfant pour que notre regard l’éclaire, à la manière d’un phare. C’est être réellement présent pour lui, à sa disposition, à son écoute. « Si toute l’équipe est occupée à donner à manger aux enfants, à courir partout, il n’y a plus personne pour être le phare de ceux qui ne mangent pas encore. Il va alors y avoir des pleurs, des cris, que l’on va interpréter comme une impatience ou une faim qui tiraille les enfants. On entre alors dans un cercle vicieux car on va vouloir davantage se dépêcher… et on va se remettre à courir », explique Jérémy. « Pourtant, si quelqu’un est dédié à s’occuper de ceux qui ne mangent pas encore, le temps du repas va être beaucoup plus calme et apaisé. On aura alors le temps d’apprendre à manger seul aux autres enfants, » conclut-il. Mais ce n’est pas tout ! Le « phare » sert aussi à encadrer les enfants à la fin du repas, qui peut parfois être difficile pour certains (et notamment pour les petits gloutons qui en auraient voulu davantage). Cette personne va alors détourner leur attention en leur proposant une petite activité calme et leur permettre ainsi une digestion sereine. Il est donc très important de désigner un membre de l’équipe comme « phare » pour les temps de repas.
Les prendre sur les genoux pour leur donner à manger
Exit les chaises hautes ! Place au plus vieux siège du monde : les genoux. Dans la crèche de Jérémy, les professionnels ont une technique bien particulière, inspirée de la pédagogie Loczy, et en cohérence avec le projet éducatif du réseau de crèches, pour apprendre aux enfants à manger seuls. Ils les prennent dans le creux de leurs bras, les posent sur leurs genoux, le dos blotti contre leur ventre. La crèche a alors investi dans des fauteuils confortables pour que cela soit possible. « C’est une position extrêmement intéressante pour favoriser leur autonomie car la cuillère vient de côté et non de face, comme si elle provenait de leur propre main finalement » explique l’éducateur. « Cette façon de faire va préparer leur propre geste quand ils mettront eux aussi leur cuillère à la bouche. Ils mettent d’ailleurs souvent leur main sur notre bras et accompagne notre geste… qu’il finisse par adopter », poursuit-il. Grâce à cette méthode, des enfants d’à peine 1 an mangent seuls ! « On souhaite vraiment sortir du repas à la chaine car il n’y a pas de relation de qualité à ce moment là » explique Jérémy. Avec cette façon de procéder, on a un rapport privilégié avec l’enfant puisqu’on a une proximité physique ! Les neurosciences ont d’ailleurs prouvé à quel point il était important pour l’enfant d’avoir ce genre de contact. Là où la tablette de la chaise haute instaure une barrière, les bras et les genoux des professionnels instaurent un lien. « Certaines collègues ont eu du mal au départ avec cette technique car elle implique de trouver la bonne position pour soi, de bien s’organiser, etc. Mais maintenant qu’elles ont trouvé leurs marques, plus aucune ne voudraient revenir à la chaise haute » s’amuse Jérémy.
Une fois le geste adopté, les petits peuvent passer à table. Mais pas n’importe laquelle ! Avant de rejoindre les « grands », les plus petits passent par une étape intermédiaire. La crèche de Jérémy a investi dans de toutes petites tables et chaises. « Pour être mis à table, il faut que les pieds touchent le sol. C’est essentiel à leur équilibre, » explique Jérémy. Si vous n’avez pas la possibilité d’investir dans un matériel spécifique, pensez simplement à mettre un rehausseur au sol, sur lequel ils pourront poser leurs pieds.
Associer les parents au projet
En voyant les professionnels agir de la sorte avec les petits, les parents se posent beaucoup de questions. Ils ont peur de ne pas pouvoir faire aussi bien qu’à la crèche, ils ne se sentent pas à l’aise pour leur donner à manger sur leurs genoux… Il faut alors les rassurer. « On a tout à fait conscience qu’à la maison, les choses sont différentes. Et ce n’est pas dramatique si le bébé dine dans sa chaise haute chez lui ! » L’enfant est tout à fait capable de faire la distinction entre ce qui se passe à la crèche et à la maison. « D’autres choses peuvent aussi se jouer avec les parents. Leur bébé grandit et ce n’est pas toujours facile accepter pour certains » témoigne l’éducateur. « C’est à nous de les amener en douceur à accepter l’évolution de leur enfant à travers des questions simples du genre « Il a des capacités, qu’en pensez-vous ? », sans jamais être dans le jugement », conseille Jérémy.
* Rigolo Comme La Vie : réseau de crèches et d’activités loisirs enfance jeunesse www.rigolocommelavie.fr
Dommage que l'on ne parle que des crèches, car le travail est bien différent chez l'assistante maternelle...