VEO : une proposition de loi pour changer les pratiques en profondeur
S’attaquer à tous les types de violence
Faut-il interdire la fessée ? C’est à cette question que semble se réduire le débat. Le sujet est pourtant bien plus large et concerne ce qu’on appelle les « violences éducatives ordinaires ». Les VEO correspondent à un ensemble de pratiques coercitives et punitives utilisées pour « éduquer » les enfants, qui peuvent prendre plusieurs formes. Des violences physiques : pincements, secousses, tirage de cheveux, tapes sur les oreilles, fessées, gifles… Des violences verbales : moqueries, propos humiliants, injures… Ou encore des violences psychologiques : menaces, culpabilisation, chantage…
Des éducations punitives et sévères dont on sait aujourd’hui, grâce aux neurosciences, qu’elles peuvent avoir de graves conséquences sur le développement du l’enfant et de l’adolescent : agressivité, anxiété, dépression, difficultés psychologiques, psychiatriques, addictions, suicides… Alors qu’à l’inverse une éducation bienveillante et empathique favorise le développement et le fonctionnement du cerveau, voire même peut modifier l’expression de certains gènes. « Il est donc vital d’arrêter d’humilier et de punir les enfants ! » martèle à chaque conférence Catherine Gueguen, pédiatre formée à l’haptonomie et la Communication Non-Violente, et auteure.
Des études considèrent qu’aujourd’hui en France, 87% des enfants subissent quotidiennement ce type de violences. Elles sont appelées « ordinaires » parce qu’elles sont utilisées, tolérées, voire recommandées dans la société et donc banales, banalisées, communes, habituelles, courantes… C’est en tout cas le constat qui est fait.
Le paradoxe du droit français
Evidemment le droit français interdit et condamne déjà les violences faites aux enfants. L’article 222-13 du Code Pénal les prohibe et reconnaît la violence contre les mineurs de moins de 15 ans commise par un ascendant légitime comme une forme de violence aggravée. Mais les magistrats se retrouvent parfois face à la difficulté à juger la limite entre violence « légère » et maltraitance… et à juger si l’acte en question était « à but éducatif » ou non. Car là est le paradoxe : en France un « droit de correction » par jurisprudence suspend l’application du droit positif dans l’espace familial et éducatif.
La France rappelée à l’ordre plusieurs fois
Le Comité des droits de l’enfants des Nations Unies a rappelé plusieurs fois à la France son devoir de mettre en pratique l’article 19 de la CIDE (voir encadré). Ainsi en 2016, il « réitère sa recommandation à l’Etat-partie d’interdire explicitement les châtiments corporels dans tous les domaines, y compris la famille, les écoles et les lieux de garde et de soins alternatifs », et rappelle « qu’aucune violence faite aux enfants n’est justifiable ».
En 2015 déjà, le Défenseur des Droits a recommandé d’inscrire dans la loi la prohibition des châtiments corporels dans tous les contextes, y compris au sein de la famille. De nombreuses institutions françaises ont pris position en faveur d’une loi civile allant en ce sens : la Commission consultative des droits de l’Homme, l’UNICEF, le collectif des 11 associations oeuvrant contre les VEO, le collectif Agir Ensemble pour les droits de l’enfant…
2016 : un amendement retoqué pour « vice de forme »
En avril 2016, les députés Edith Gueugneau, de la 2e circonscription de Saône-et-Loire, François-Michel Lambert, de la 10e circonscription des Bouches-du-Rhône, et François de Rugy, de la 1ère circonscription de Loire-Atlantique, déposent une proposition de loi contre les châtiments corporels qui n’est pas retenue. En revanche en décembre suivant, l’Assemblée Nationale et le Sénat votent en faveur de l’article 68 du projet de loi « Egalité et citoyenneté » qui permet de modifier l’article 371-1 du Code civil. Il précisait ainsi que l’exercice de l’autorité parentale excluait « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles. »
Nouvel échec : 120 parlementaires du parti Les Républicains saisissent alors le Conseil Constitutionnel pour invalider cet article, estimant que « cette disposition ne présente aucun lien, même indirect, avec la version initiale du projet de loi Egalite et Citoyenneté ».
L’amendement avait pourtant été soutenu par le Gouvernement, notamment Laurence Rossignol, alors Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, qui lançait l’année suivante le premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants pour la période 2017-2019.
2018 : une proposition de loi solide
Cette année c’est Maud Petit, députée Modem de la 4ème circonscription du Val-de-Marne, avec François-Michel Lambert, qui a pris le sujet à bras le corps. Elle a déposé à l’Assemblée le 22 février une proposition de loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, qui tenait en un article unique. La proposition de loi n’avait finalement pas été inscrite dans la niche parlementaire du Modem du mois de mai.
Cela n’a pas découragé la députée qui vient de déposer, avec le soutien de 52 autres députés, une nouvelle proposition de loi à l’Assemblée. Elle est également soutenue par Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité femmes-hommes et la lutte contre les discriminations, et Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé. « J’espère que nous pourrons rejoindre les grands pays européens qui, pour la majorité d’entre eux, ont publié des lois qui interdisent les violences faites aux enfants dans le cadre de l’enfant, » disait Agnès Buzyn lors de la Journée de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants le 2 mars dernier.
Dans le cadre de cette nouvelle proposition de loi, Maud Petit a fait passer des auditions a de nombreux experts : des anciens députés, des représentants de de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, du Conseil de l’Europe, d’associations (notamment Céline Quelen, présidente fondatrice de l’association Stop VEO), des médecins et pédiatres (tels que Catherine Gueguen, conférencière et auteure). Avant de rendre son rapport pour examen à la commission le 21 novembre. Et c’est demain que Maud Petit défendra sa proposition de loi devant l’Assemblée Nationale.
Elle comporte deux articles, ainsi rédigés après examen de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :
Article 1er
Après le deuxième alinéa de l’article 371-1 du code civil, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les titulaires de l’autorité parentale l’exercent sans violence. Ils ne doivent pas user à l’encontre de l’enfant de moyens tels que la violence physique, verbale ou psychologique, les châtiments corporels ou l’humiliation. »
Article 2
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er septembre 2019, un rapport présentant un état des lieux des violences éducatives en France et évaluant les besoins et moyens nécessaires au renforcement de la politique de sensibilisation, d’accompagnement et de soutien à la parentalité à destination des parents, ainsi que de formation des professionnels concernés.
Une loi à visée pédagogique
Si cette proposition de loi est si importante, c’est parce que, comme le rappelait encore Maud Petit lors de la projection du film sur la non-violence éducative "Même qu'on naît imbattables !", elle doit permettre de rétablir un déséquilibre. « On interdit les violences entre adultes et envers les animaux, et les enfants qui sont les êtres les plus vulnérables, sont les derniers à ne pas être protégés !... »
Cette loi n’a pas pour but de culpabiliser et de pénaliser, mais bien de protéger les enfants et mieux informer les parents. Dans l’exposé des motifs de la loi, les députés soulignent en effet que les parents ont recours aux VEO pour plusieurs raisons : par le fait d’avoir subi eux-mêmes ces violences étant enfants, de croire aux vertus éducatives de la douleur, répondre aux injonctions sociales, avoir une interprétation erronée du comportement des enfants, par méconnaissance de leurs besoins et de leur développement… Et précisent ainsi qu’une loi civile permettra d’avoir une base légale nécessaire pour mettre en place des campagnes d’informations, la formation des professionnels, un affichage chez les médecins… Et c’est ainsi que toute la société pourra progressivement évoluer. « En agissant à la source, cette loi sera un levier d’action efficace pour réduire les maltraitances, l’échec scolaire, les maladies, les suicides, les comportements anti-sociaux et la délinquance qui découlent de ces modes d’éducation », écrivent-ils.
Les défenseurs de la loi sont à ce jour très confiants, tant dans la légitimité du projet que dans ses chances de réussite. « C’est une question éthique majeure, explique Gilles Lazimi, coordinateur des campagnes contre les violences faites aux enfants de la Fondation pour l’Enfance. On sent que ça bouge dans la presse, dans l’opinion, chez les jeunes parents... Et on est à la veille d’une loi qui protège enfin tous les enfants contre toutes les violences. C’est très positif ! »
La proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité dans la nuit du 29 au 30 novembre. L'article 1 a été diminué à son minimum : il sera inscrit dans le Code civil que « l’autorité parentale s'exerce sans violence physique ou psychologique ». L'article 2, lui, est adopté tel quel.
La Convention Internationale des droits de l’enfant (CIDE)
La Convention Internationale relative aux droits de l’enfant de 1989, signée par la France le 7 août 1990, allait à l’encontre de toute forme de violence envers les enfants. Ainsi l’article 19 prévoit que : « Les Etats prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteintes ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitement (…), pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou de ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. »