Jardins d’enfants : l’Éducation nationale persiste et signe !

Ces derniers mois avaient suscité beaucoup d’espoir pour les jardins d’enfants. On les pensait presque sauvés sans trop y croire. Et on avait raison de ne pas trop y croire. Le rouleau-compresseur Éducation nationale a fait son œuvre malgré de premières déclarations encourageantes de son ministre, Pap Ndiaye .Aujourd’hui les jardins d’enfants sont plus que jamais menacés et une nouvelle pétition pour les sauver vient d’être lancée.
De légitimes espoirs
 Il y eut une prise de parole de Pap Ndiaye au Sénat (voir LH57 et ci-dessous) qui semblait montrer que le nouveau ministre de l’Éducation nationale avait une vision positive des jardins d’enfants et voulait trouver une solution pour qu’au nom de la Loi sur l’école de la confiance, ils ne passent pas à la trappe. Il y eut aussi la bonne nouvelle de la rentrée dans la version définitive du décret « expérimentation » : les 2 articles entérinant la fin des jardins d’enfants pour la rentrée 2024 étaient absents… (voir LH 64). Tout cela avait redonné confiance aux professionnels et parents de ces structures originales qui depuis 100 ans, ont fait leurs preuves.

Ce que Pap Ndiaye a dit le 13 juillet devant la commission Éducation du Sénat
« Les jardins d’enfants, je le mentionne au passage, c’est un point en effet tout à fait important qui a souffert de façon indirecte de la loi de 2019, par ailleurs tout à fait bénéfique sur la scolarisation des enfants à partir de 3 ans.
J’en ai parlé aujourd’hui d’ailleurs avec Madame Anne Hidalgo qui est concernée par les jardins d’enfants et j’ai été alerté sur ce sujet par plusieurs élus et plusieurs membres du Gouvernement et donc nous devons trouver une solution juridique pour essayer de faire de telle sorte que les jardins d’enfants continuent leurs activités. C’est un point auquel je suis sensible, Monsieur le Sénateur. Il nous faut trouver un chemin pour cela qui soit soutenable mais c’est une question que je not
e. »

Un ministre qui retourne sa veste
Alors qu’il était resté très ouvert sur une solution permettant de pérenniser les jardins d’enfants existants jusqu’alors, le ministre de l’Éducation nationale, lui dont des enfants ont fréquenté ce type d’établissement, semble être rentré dans le rang. Et l’administration de cet immense mammouth a dû le convaincre que ce serait trop compliqué de changer les choses. Il est vrai que les jardins d’enfants font moins de lobbying que les tenants de l’école à la maison qui ont obtenu gain de cause. Le ministre de l’Éducation nationale n’a jamais accepté de recevoir la Fédération nationale des jardins d’enfants, depuis sa nomination.

Ce que Pap Ndiaye a écrit en octobre en réponse à une question du sénateur Max Brisson
« L'abaissement de l'instruction obligatoire à trois ans, voulue par le législateur avec la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, est une mesure d'égalité des chances pour tous les enfants de la République. Visant l'acquisition progressive des compétences et connaissances nécessaires pour bâtir les savoirs fondamentaux, le programme d'enseignement de l'école maternelle prévoit intrinsèquement la prise en compte des besoins de l'enfant, le développement du plaisir d'apprendre, de la confiance en soi. Ainsi les professeurs des écoles fondent leur pratique pédagogique sur ces enjeux, dans le but d'accompagner tous les enfants dans leur développement et de leur permettre d'acquérir les savoirs et compétences nécessaires pour la suite de leur parcours scolaire. Nonobstant la qualité de l'accueil et des aspects relationnels, notamment grâce à un taux d'encadrement favorable, au sein des jardins d'enfants, aucune enquête en suivi de cohorte ne permet d'établir leur plus-value quant à la préparation à l'acquisition des savoirs fondamentaux que sont lire, écrire, compter et respecter autrui. Si les jardins d'enfants s'inscrivent globalement dans le programme d'enseignement de l'école maternelle dans le cadre du moratoire, les éducateurs de jeunes enfants ne sont pour autant pas des enseignants. Les jardins d'enfants sont implantés dans différents territoires et parfois en politique de la ville, mais les familles qui les fréquentent appartiennent aux catégories socio-économiques plus favorisées que celles des autres familles du secteur. Les pratiques éducatives de ces familles offrent davantage d'opportunités d'apprentissages informels, notamment par un rapport au livre plus soutenu et des approches culturelles plus marquées. Ces pratiques sont sources de réussite scolaire potentielle. L'ambition de l'obligation d'instruction à 3 ans dans son objectif de lutte contre les inégalités vise les acquisitions et la réussite de tous les enfants. Le moratoire décidé en 2019 et courant jusqu'à la rentrée 2024, a pour objectif de permettre aux jardins d'enfants d'envisager une transition, voire une transformation afin qu'ils puissent tirer le meilleur parti de leur expérience et leur expertise. De nombreux territoires se sont emparés de cette période en ces sens. Plusieurs réunions ont déjà été organisées avec les ministères chargés de l'éducation nationale et de la santé afin d'accompagner les évolutions nécessaires. Différentes voies de transformation y ont été évoquées : la transformation en établissement d'accueil du jeune enfant (crèche) étant la solution la plus souvent retenue. D'autres possibilités sont à l'étude dans les territoires où la collectivité travaille étroitement avec l'éducation nationale afin d'étudier la possibilité de complexes innovants. » (Publiée dans le Jo Sénat du 13/10/2022 - page 4960)

Une secrétaire d 'État qui enfonce le clou maladroitement
Il y a quelques semaines, le sénateur parisien Rémi Ferraud, lors d’une séance de questions au gouvernement, a demandé où en étaient les belles promesses de l’été dernier : « trouver un chemin pour pérenniser les jardins d’enfants ». La réponse fut décevante et de mauvais augure.
Pourquoi est-ce la secrétaire d’État à la jeunesse et au service universel qui a répondu à une question sur les jardins d’enfants ? Mystère. Soit cela montre une gêne du côté du ministre à se dédire publiquement et oralement, soit un certain mépris pour le sujet car force est de constater que Sarah El Haïry n’est pas une pro des jardins d’enfants, ce qui est compréhensible vu l’intitulé de son secrétariat d’État. Elle se contente de lire, hésitante, la réponse qu’on lui a préparée. Elle lit maladroitement une réponse maladroite ! Voire choquante à plus d’un titre.
Tout d’abord, elle rappelle la scolarisation à 3 ans rendue obligatoire par la loi sur l’école de la confiance, ce qui est juste, et souligne bien que la seule exception possible à cette loi c’est l’école à la maison… L'instruction à la maison a donc plus de valeur que les jardins d’enfants selon elle. Dommage pour une secrétaire d’État qui est dans un gouvernement qui entend lutter contre les inégalités de destin dès le plus jeune âge. Elle ne doit pas connaître le travail des jardins d’enfants quant à la mixité sociale et à l’inclusion.
Enfin, elle poursuit en opposant les jardins d'enfants strasbourgeois aux jardins d’enfants parisiens. Adoptant une ligne efficace mais peu « classe » : diviser pour mieux régner, elle explique qu’à Strasbourg tout le monde applique les consignes en se transformant soit en EAJE, soit en école hors contrat tandis qu’à Paris, les jardins d’enfants pédagogiques rechignent à appliquer la loi…

Strasbourg Vs Paris, vraiment ?
Les jardins d'enfants dépendant de la ville de Strasbourg ont effectivement déjà entamé leur transformation en EAJE type crèches, avec un programme de travaux et de fermeture de plusieurs mois à un an de ces jardins d'enfants, un par un, de 2022 à 2026.
En revanche, ce que la secrétaire d’État oublie de dire, c'est que les jardins d’enfants associatifs de Strasbourg, eux, sont plus en difficultés. Deux vont fermer en juin et un troisième sera probablement aussi obligé de cesser son activité. « Pour les quelques autres qui restent, explique à contrecœur Aurélie Ira, la coprésidente de la FNJE, nous commençons sérieusement à réfléchir à une transformation, parce que le temps est compté (pour les écoles hors contrat, les dossiers de demande doivent être déposés environ 6 mois avant l'ouverture, soit janvier 2024, soit dans un an) et que les équipes et parents sont inquiets (les écoles strasbourgeoises ne pouvant pas accueillir tous les enfants de jardins d'enfants), donc rien n'est abandonné ni acté, mais nous devons penser à notre avenir. ». Et reconnaît-t-elle amèrement : « Donc oui, l'espoir s'amenuise et nous allons devoir, au plus tard en janvier, décider de la suite à donner. Bien sûr, nous souhaitons sauver les jardins d'enfants, mais nous devons aussi penser au maintien des emplois de nos collègues. »
Céline Hervieu, élue petite enfance de Paris, quant à elle se dit surprise de ce retournement de situation. « On avait le sentiment, dit-elle, que le ministre souhaitait trouver une solution. Au conseil de Paris, nous avons déjà voté deux vœux en faveur des jardins d’enfants. La maire de Paris, Anne Hidalgo a écrit à Pap Ndiaye pour l’alerter à nouveau. À ce jour, elle n’a pas reçu de réponse ». Optimiste, l’élue parisienne veut encore y croire !

Une nouvelle pétition adressée au nouveau ministre
Le collectif  DÉfense COLLective des Amis des Jardins d'Enfants DECOLLAJE ,  vient de lancer une nouvelle pétition  adressée au Ministre de l’ Education nationale  pour le maintien des jardins d’enfants. A signer ici
Rappelons que la précédente adressée à Michel Blanquer avait recueilli 25 000 signatures.


Cet article a été publié pour la première fois dans la Lettre Hebdo 71  des Pros de la Petite enfance  envoyée à nos abonnés le 5 décembre

 
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 16 décembre 2022
Mis à jour le 09 janvier 2023