Agnès Chaumié, musicienne spécialisée petite enfance : « Les tout-petits sont des auditeurs nés »
Agnès Chaumié : Une suite de hasards !... En 1980, j’ai croisé la route de l’association Les Musicoliers et commencé à intervenir avec eux en école maternelle et primaire. J’ai aimé. Ça m’intéressait de comprendre non pas ce qu’on peut apprendre aux jeunes enfants, mais ce qu’on peut vivre musicalement avec eux. Ensuite les choses se sont enchaînées : Enfance et Musique, et récemment ma compagnie Un air d’enfance…
Sur quoi reposent les temps de rencontre musicale avec les jeunes enfants ?
Il s’agit d’être à l’écoute des enfants pour qu’ils puissent vivre un moment de musique par eux-mêmes. C’est l’opposé de l’apprentissage scolaire ! C’est tout sauf un atelier musique qu’on animerait une fois par semaine à la manière d’un cours de musique. Ces rencontres existent pour que la musique puisse faire partie intégrante de la vie des professionnels et des enfants, dans une crèche ou tout autre lieu d’accueil.
Quand je viens dans un lieu de la petite enfance, c’est plus de l’ordre de la performance. Je propose et rebondis sur ce qui se passe et m’intéresse avec mes oreilles de musicienne. Il n’y a pas d’attente particulière, mais je suis présente à 100%. C’est un échange dans un autre langage que celui du quotidien. Les enfants sont des spectateurs et des auditeurs et des musiciens innés, ils ont une grande capacité à s’émerveiller et à rêver !
Vous avez des exemples ?
Oui dans une crèche par exemple, où je suis venue trois ou quatre fois : un matin, pendant le temps d’accueil, j’avais installé dans l’entrée plusieurs petites enceintes diffusant des chansons d’enfants et d’adultes, des morceaux de voix contemporaines, et j’ai disposé 7 mini-gong en formes de clochettes sur le sol. Quand un enfant arrivait avec son parent, sans un mot, j’en soulevais une et la faisais tinter, Elles n’avaient pas toutes le même son. Je me suis mise à improviser et en fonction du son des clochettes, de ce qui sortaient des enceintes ou du silence.
Au bout d’un moment, plusieurs enfants et parents étaient là, assis dans l’entrée, écoutant, jouant eux mêmes avec les clochettes, les reposant, sans dire un mot. Puis une professionnelle est venue se joindre à nous avec quelques enfants, puis une autre et ce concert improvisé a durer un grand moment. C’était très beau et touchant d’être là ensemble, adultes et enfants, à inventer et écouter cette musique délicate, et aussi d’observer chaque enfant dans sa façon de vivre et de participer à ce moment là.
Quand je fais ce type d’interventions, j’essaye toujours d’avoir un temps d’échange avec les professionnels du lieu. Tous n’ont pas le même ressenti sur ce que je propose et la manière dont les enfants le vivent. C’est important de mettre des mots sur ces moments étonnants.
Comment créez-vous vos spectacles jeune public ?
Je suis musicienne et comédienne et dans mes spectacles je suis l’un ou l’autre, même si les choses se mêlent. Je ne cherche jamais à inventer une proposition pluri-sensorielles pour que ça intéresse l’enfant. Je cherche plutôt comment créer un concert qui nous intéresse tous les deux, l’enfant et moi.
Chaque spectacle est une aventure différente, je n’ai pas une façon de créer. Ça passe par plein d’étapes. Il y a le moment où on rêve sur le spectacle qu’on va créer, puis celui de sa construction où on a « les mains dans le cambouis », et vient la confrontation avec le public. Avec le très jeune public cette étape est très importante. C’est là qu’on va trouver le rythme du spectacle. Mes spectacles sont parfois nés d’une demande extérieure, d’autre d’une envie personnelle.
C’est un public difficile et exigeant ?
De façon générale, tout l’enjeu d’un spectacle c’est d’embarquer le public. Et de ne pas le lâcher. Avec les tout-petits l’attention peut à tout moment partir puis revenir et ce n’est pas grave. Cela peut être déroutant. Il faut créer une proposition qu’on puisse suivre à tout moment. Les très jeunes enfants sont vraiment dans l’instant présent. Il faut avoir ça en tête au moment de la création. Et aussi quand on joue devant eux : c’est un public qui demande une très grande présence et attention dans l’instant et qui en retour peut être d’une attention incroyable. Les enfants écoutent « de tout leur corps »
Un public difficile ? Je ne sais pas mais en tout cas c’est un public qui n’est jamais gagné. Je garde toujours à l’esprit que certains enfants arrivent parfois dans de mauvaises dispositions - une contrariété, un chagrin… Il y a tellement de paramètres ! D'ailleurs l’expérience m’a montré qu’il faut accepter que parfois ça ne marche pas, le spectacle ne se pose pas, ne prend pas. Jouer pour les tout-petits, c’est admettre cette part d’imprévisible sur lequel on n'a pas toujours de pouvoir. Pascale Mignon l’explique très bien dans son livre intitulé « Les bébés vont au théâtre » écrit avec Patrick Ben Susan,
Quelle est la place des professionnels qui accompagnent les enfants lors de ces représentations ?
Il est important que les adultes qui accompagnent les petits lors de spectacles soient vraiment là : ils vont vivre quelque chose ensemble qui fera partie de leur histoire commune. C’est ça qui crée des liens. Accumuler des souvenirs avec d’autres personnes est le propre de l’être humain. Si on emmène son enfant au théâtre c’est avant tout pour partager quelque chose avec lui.
Mais dans un spectacle il y a est toujours une part d’étrangeté car il emmène le spectateur dans un autre monde, qui n’est pas celui de tous les jours. Il faut donc faire en sorte que l’enfant se sente en sécurité. Les professionnels, comme les parents doivent être eux aussi être mis en confiance. Il faut parfois expliquer et se mettre d’accord avec eux sur le cadre qui est proposé.
Certes se retrouver dans le noir peut être très angoissant, par exemple. Mais plonger la pièce dans l’obscurité pour mettre la scène en lumière va d’une certaine façon contenir les enfants, en focalisant leur attention sur ce qui se passe sur scène et être finalement rassurant !
En termes de création tout est possible pour les enfants, cela dépend juste du contexte et quel sens cela prend… Enfin, si parfois une représentation peut sembler déconcertante aux yeux des adultes, je leur conseille d’observer les visages et les réactions des enfants. Ils expriment beaucoup de choses et disent leur ressenti, et parfois ils nous aident à voir et à entendre ce que propose l’artiste.
Vous avez aussi enregistré de nombreux disques.
Tout a commencé avec le disque « 75 comptines, chansons et jeux de doigts » qui était destiné aux adhérents de l’association Enfance et Musique. Nous proposions aux stagiaires un petit livret de chansons rassemblées par Hélène Bohy, avec paroles musique et accord de guitare. Beaucoup de professionnels l’enfance ne savaient pas lire la musique, nous avions décider d’enregistrer les chansons pour qu’ils puissent les retenir. Avec un ami guitariste et Hélène, Bohy nous avons donc fait ce disque. Mon souci était que le résultat donne envie de chanter, tout en ayant plaisir à l’écouter et j’ai essayé d’être le plus neutre possible dans mon interprétation pour qu’ainsi les adultes aient envie de les reprendre eux-mêmes. Et ce disque a beaucoup circulé. Nous avons souhaité ensuite produire d’autres CD, en y mettant plus notre pâte à nous, nos propres arrangements musicaux, notre interprétation. Et l’aventure s’est poursuivie !
Dans les disques que j’ai fait par la suite, toute seule ou avec d’autres, les chansons sont en majorité des chansons qui existent déjà. Mon travail s’est surtout porté sur la manière de retranscrire dans quelque chose de figé (un disque) tout ce qui se passe avec les enfants quand je chante avec eux. Essayer de faire ressentir ce qui semblait leur plaire dans ces chansons, tout autant que ce qui faisait écho pour moi, les émotions, le jeu… De plus quand on chante avec les tout petit, la chanson se transforme en fonction de ce qui se passe avec lui, dans l’instant. On est vraiment dans la relation. C’est un pari de transposer ça dans un CD, et que la version que je propose parle à tous les enfants ! D’autre part, depuis le 1er disque « 75 comptines et jeux de doigts » j’ai toujours gardé en tête que ces disques ne doivent pas remplacer l’adulte qui est auprès de l’enfant mais lui donner envie de chanter avec lui.
Actuellement je crée aussi des livres musicaux avec Didier Jeunesse. Ce sont des balades sonores autour de différents thèmes : la mer, la forêt, la campagne, la ville… L’idée n’est pas de reconnaître les sons associés à la thématique. J’ai envie de composer quelque chose de sensible, qui intéresse l’enfant parce que le touche. Et je m’aperçois que ça touche aussi les adultes qui ont beaucoup de plaisir à les écouter
Comment expliquez-vous le succès de votre livre « Je chante avec mon bébé » ?
C’est vrai que le livre est très apprécié. Je l'ai fait pour donner « la parole aux adultes », pour dire à quel point toutes ces chansons enfantines ne sont pas désuètes, et que pour l’enfant, la plus belle chanson c’est celle chantée par le parent ou le professionnel qui vit auprès de lui. J’avais aussi besoin de transmettre par écrit tout ce que j’ai appris auprès des tout petits en chantant avec eux, pendant presque 40 ans. Toute la richesse de ces chansons.
Comme j’ai été amené à parlé plusieurs fois de ce livre CD, j’ai cherché un moyen de transmettre le mieux possible son contenu, en essayant d’aller plus loin qu’une simple conférence. D'où mes « Conférences en chansons » qui plongent l’auditoire dans la musique, dans la chanson, dans la voix. Il s’agit donc de conférences participatives propices à l’écoute et à l’inattendu qui proposent d’échanger sur la question de pourquoi chanter avec les enfants, comment aller à l’écoute de ce que l’enfant écoute, comment éveiller l’écoute, la musicalité, la richesse de la voix.
Vous dites avoir beaucoup appris des enfants. En quoi vous ont-ils influencée comme musicienne ?
J’ai grandi dans une famille de musiciens amateurs où on apprenait à jouer d’un instrument de musique, et j’avais déjà un bagage musical important quand j’ai commencé à travailler dans la petite enfance. Mais il est clair que j’ai redécouvert mon métier auprès des enfants. Ils m’ont rappelé que la musique, c’est avant tout du son, avant même que ce soit un rythme et une mélodie. Et le son porte lui-même quelque chose, il a un début, un milieu et une fin, il laisse une trace dans l’espace.
Quand on fait de la musique avec les très bébés on ne cherche pas à construire morceau, c’est plutôt comme du gribouillage : les enfants dessinent d’abord des traits, des formes simples, puis des bonhommes. Mais c’est une expression de l’enfant, une trace qui correspond à ce qu’il est, qui parle de lui. Dans la musique c’est pareil. Avec les enfants, la priorité c’est d’être dans l’instant. Plus ça va, plus j’aime aller leur rencontre pour vivre une émotion musicale avec eux.
Quel message souhaiteriez-vous faire passer à l’heure où l’éveil artistique et musical du jeune enfant est (re)devenu un vrai projet politique ?
Il faut plus que jamais rappeler que l’enfant s’éveille de lui-même. Il s’ouvre de lui-même à la musique, comme pour les autres acquisitions. Petite précision : les enfants qui n’ont pas « d’éveil musical » ne sont pas moins éveillés que les autres. C’est la vie qui nous éveille ! Simplement pour s’éveiller, il faut avoir suffisamment d’appétit, pour oser découvrir, s’engager… Et pour ça, il faut se sentir aimé et être respecté dans sa singularité.
Connectez-vous pour déposer un commentaire.